AUTARKH
Inception sonore

Quand un groupe arrive au sommet de sa créativité en repoussant sans cesse les limites, bien souvent il implose juste après. À l’instar de formations cultes comme Sepultura (après son album Roots) ou The Dillinger Escape Plan, les néerlandais de Dodecahedron, que nous suivîmes dès le départ pour son black metal avant-gardiste, ont explosé et fait scission en 2020. Deux de ses musiciens ont décidé de continuer l’exploration de nouveaux horizons sonores sous le nom d’Autarkh avec un premier jet : Form in Motion. [Entretien intégral avec Michel Nienhuis (guitare/chant/programmation) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Pourquoi Dodecahedron s’est-il séparé l’année dernière en 2020 et devons-nous considérer Autarkh maintenant comme la suite naturelle de Dodecahedron, fondé dans les cendres de ton précédent groupe… ? En clair, Autarkh est-il en quelque sorte la réincarnation de Dodecahedron ? (sourires)
Il y avait un tas de raisons pour lesquelles le dodécaèdre ne pouvait plus continuer. La maladie et la mort de notre premier chanteur Michiel Eikenaar nous ont pesés à tous, en particulier sur notre deuxième chanteur et ami proche William van der Voort qui a dû chanter ses paroles (souvent de nature existentielle).
Autarkh est définitivement une forme de réapparition du dodécaèdre. Musicalement parlant, la fondation du dodécaèdre a servi de modèle à Autarkh. J’avais déjà proposé quelques idées pour le troisième album de Dodecahedron. Ces idées restèrent intactes pour Autarkh. À partir de cette base, nous avons développé les aspects qui allaient être (en partie) différents si ça avait été intégré pour Dodecahedron, c’est-à-dire le son et le contenu des beats, les paroles et le chant.

Form in Motion est votre premier album studio avec Autarkh. Que représente exactement l’artwork en noir et blanc de sa pochette ? Pourrais-tu en expliquer les paroles car on dirait une sorte de concept en relation avec l’urbanisme, la géométrie, ou la notion d’espace-temps un peu comme le film Inception de Christopher Nolan peut-être ? On peut noter d’ailleurs une évolution lyrique (géométrique ?) entre le premier morceau appelé « Primitive Constructs » et le neuvième morceau « Alignment » à la fin de l’album, juste avant le morceau final en allemand « Zeit ist nur eine Illusion » qui signifie « Le temps n’est qu’une illusion »…
L’œuvre Comaworx de Manuel Tinnemans est en quelque sorte une démonstration du processus de croissance et de transformation dont parle l’album Form In Motion. Ce processus est assez chaotique et se déplace de chaque extrémité de l’œuvre vers le centre. En fait, la couverture de l’album ne représente qu’un quart du dessin complet, qui est présenté en intégralité sous forme d’affiche dans la version vinyle. Les paroles se sont également basées sur cette voie. C’est devenu une histoire de rupture d’un cycle et d’évolution. Form In Motion décrit le processus de développement, de passage d’un endroit à un autre au sens le plus large. J’ai d’abord su que je voulais écrire sur ce processus quand j’ai commencé à comprendre que la confrontation avec les limites de la réalité ne sont que des limites dans le monde de la matière, le monde que vous observez avec vos sens dans la vie de tous les jours. La vie quotidienne est bien réelle, évidemment, et la confrontation avec ces limites est décrite dans des chansons comme « Turbulence » et « Cyclic Terror ». Afin de surmonter ces limites, il est nécessaire de regarder l’état d’être interne et de commencer un processus de croissance et de transformation de l’intérieur, ce qui constitue le thème principal des chansons « Introspectrum» et « Lost to Sight », débouchant finalement sur un état de catharsis et de joie dans « Alignement ».

En écoutant Autarkh, on trouve des liens musicaux avec certains groupes comme forcément Dodecahedron, ton précédent groupe, ce qui est naturel, mais aussi Meshuggah (un album comme Catch Thirtythree par exemple enregistré entièrement avec une batterie programmée par Fredrik Thordendal), Thorns, ou Godflesh peut-être… Selon toi, quelles sont vos principales influences musicales dans Autarkh ?
Tu as certainement raison à propos de Meshuggah. Leur travail de pionnier a été une influence majeure sur mon écriture depuis que je les ai découverts dans les années 90. Il y a différents groupes ou artistes qui ont eu ou encore des influences musicales pour moi, mais tous n’ont pas influencé le son d’Autarkh pour autant, donc je me limiterai aux influences d’Autarkh. Ce que nous avons essayé de faire, c’est de combiner le Métal extrême dans la veine de feu Dodecahedron avec des rythmes électroniques abstraits et quelques parties atmosphériques ici et là. La partie métal est influencée en fait plus par des groupes comme Deathspell Omega, Meshuggah donc, Converge et The End également. Les rythmes électroniques, quant à elles, sont inspirés plutôt par Autechre et Aphex Twin, et les passages atmosphériques pourraient rappeler des gens comme Gyorgy Ligeti et Jaap Vink…

Mais alors comment avez-vous composé et écrit les nouveaux morceaux relativement complexes de ce nouvel album Form In Motion avant de l’enregistrer en studio : sur ordinateur ou claviers et échantillonneurs d’abord avec une boîte à rythmes et après les instruments rock traditionnels : basse, guitares, batterie, et le chant ?? Ou l’inverse ? Comment travailles-tu ? Quelle est votre recette dans votre cuisine industrielle? (sourires)
Certaines des chansons ont déjà été conçues en tant que démos pour le troisième album de Dodecahedron en fait. On a emmené ces chansons en studio pour expérimenter le remplacement de la batterie par la boîte à rythmes mais avec des rythmes réels pour voir quel type de sons nous recherchions. Un élément que j’ai trouvé à travailler était l’utilisation des sons de vieux métiers à tisser du Textielmuseum à Tilburg (NL). (rires) Nous avons ensuite enregistré le reste des instruments en plus de cela. En attendant, j’expérimentais avec différents sons de ma voix et j’ai compris que je voudrais essayer le chant semi-clair déformé dans Autarkh, alors j’ai commencé à pratiquer cela aussi.

Après ça, j’imagine que les arrangements et le mixage de tout l’album ont dû être très compliqués avec ces nombreux niveaux de textures sonores et tous ces instruments… Vous prenez donc le risque aussi de paraître un peu trop chaotiques dans vos nouvelles expérimentations sonores auprès des oreilles des néophytes qui vont découvrir votre nouvelle musique avec Autarkh, et ne connaissent pas la musique de Dodecahedron. Alors comment as-tu procédé ensuite pour le mixage de tous les éléments en studio après le processus d’enregistrement avec les collègues David Luiten et Tijnn Verbruggen ? Ou bien tu t’es retrouvé tout seul à t’arracher les cheveux pendant de longues nuits… ?
Le mixage a été en effet un processus assez délicat et long. Une fois que tout était enregistré, nous devions créer une vue d’ensemble car nous avions pas mal de pistes dans le dossier informatique du projet… Nous (David et moi) les avons regroupés en catégories et avons commencé par équilibrer les rythmes. Ensuite, nous avons ajouté des basses, les différents riffs de guitares, des guitares ambiantes, des couches spatiales sonores (claviers), et enfin des voix. À ce moment-là, nous avons réalisé que nous devions réfléchir soigneusement au son à mettre en avant à l’endroit exact du spectre, car certaines couches étaient inaudibles… On a donc fait un schéma, une sorte de dessin, où nous avons placé tous les différents types de sons à différents endroits du spectre afin de créer à nouveau une vue globale. En cours de route, on a trouvé des idées de production qui pourraient faire une différence dans le son par rapport à ce que nous savions déjà, par exemple avec les battements du souffle. Nous avons utilisé une compression de chaîne latérale lourde sur la réverbération de la caisse claire pour rendre le son plus bancal et moins mécanique au niveau de la batterie par exemple, et avons placé des échantillons déformés de sons métalliques courts par-dessus pour rajouter de l’attaque aux percussions. Une idée différente qui fonctionne également bien est l’utilisation d’un sous-kick pendant les parties de batterie à kick rapide pour ajouter du groove.

Sur Form In Motion, peut-on trouver tout de même de vraies batteries acoustiques sur les morceaux ou n’y a-t-il ici que des batteries électroniques par programmation (boîte à rythmes) ? Vous n’avez pas peur de la réticence de certains métalleux allergiques à la boîte à rythmes et aux programmations ?
Certaines sections avaient besoin d’un son de cymbale plus réaliste, nous avons donc utilisé de vraies cymbales échantillonnées pour ces parties, et peut-être un vrai coup de caisse claire ici et là, agrémentés de ce que je t’expliquais précédemment. A vrai dire, lors de la création de l’album, nous ne nous sommes pas préoccupés de savoir qui pensera quoi ou si cela fait appel à un certain type d’auditeur, tu sais… On était juste occupé à rechercher un son global distinctif qui sonnait bien à nos oreilles.

Avant de se quitter, si tu devais définir ou présenter votre musique à un inconnu demain, quels mots employerais-tu pour présenter Autarkh et ce premier album Form In Motion ? Métal extrêmement moderne ? Black Metalcore expérimental ? Black Metal industriel ? Synth Metal ?? Etc. Ou bien tu ne te soucies guère des étiquettes ?!
Je dirais du métal extrême contemporain. (sourires)

Par hasard, connaissez-vous le groupe de métal français Mur signé sur le label français Les Acteurs de l’Ombre Productions ? Nous vous invitons à écouter leur musique et là ils viennent de sortir un nouvel EP intitulé Truth que nous avons interviewés en début d’année. Je trouve quelques parallèles artistiques entre Autarkh et Mur sur la plupart des parties industrielles et violentes, bien qu’ils aient des influences plus black et hardcore contrairement à vous…
Je n’avais pas encore entendu parler de Mur, et je viens de le mettre en écoute, cela semble intéressant ! Le son me rappelle un peu Celeste, un autre groupe français que j’aime d’ailleurs beaucoup… (sourires)

Enfin, pensez-vous qu’Autarkh ne sera et restera qu’un projet de studio (comme certains projets parallèles expérimentaux dans le métal) ou vous envisagez le live pour donner des concerts dès que ce sera possible ? Si oui, espérez-vous partir en tournée et jouer sur scène et participer à des festivals dans le monde entier par exemple ?
Nous allons certainement jouer en live dans le futur. Notre premier spectacle a été annoncé et prévu pour l’édition 2021 du festival hollandais par chez nous donc et nous nous produirons au festival Roadburn Redux du 16 au 18 avril 2021 (NDLR : entretien réalisé en février). Espérons que d’autres évènement live suivront plus tard cette année…

CHRONIQUE ALBUM

AUTARKH
Form in Motion
Metal extreme électronique
Season of Mist

Avec des artistes issus de feu Dodecahedron, on se doutait bien qu’Autarkh n’allait pas donner dans la simplicité. À l’image de son artwork noir et blanc à la fois brouillon et stylé, ce premier essai avant-gardiste des Néerlandais nous plonge dans une musique contemporaine chaotique et futuriste rappelant Catch Thirtythree de Meshuggah, Celeste, ou Godflesh, le tout en accéléré (« Turbulences ») et nettement moins dansant que Perturbator, quoique… (« Introspectrum »). Poussant toujours plus loin les limites black de Dodecahedron à l’aide de violentes racines électro dark noisy, Autarkh nous fait voyager dans un big bang parfois épuisant de métal extrême afin d’atteindre un certain climax (« Alignment »), quitte à égarer quelques âmes au passage dans un trou noir… [Seigneur Fred]

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