CARACH ANGREN
Le bal de l’horreur

Après un Dance And Laugh Amongst The Rotten acclamé en 2017 et des prestations scéniques encore meilleures, Carach Angren continue à présent son irrésistible ascension sur la scène Horror Metal avec Franckensteina Strataemontanus. Sa danse macabre se base cette fois sur le mythe de Victor Frankenstein et sa créature en s’inspirant du célèbre roman de Mary Shelly, ou plutôt sur l’homme qui a inspiré cette dernière, le docteur Johann Conrad Dippel. [Entretien intégral avec Clemens « Ardek » Wijers (claviers & chœurs) par Seigneur Fred et François Capdeville  – Photos : Stefan Heilemann]

Comment s’est passée votre participation à la croisière festival 70 000 Tons Of Metal en tout début d’année pour vous en tant que musiciens car on n’imagine pas trop Carach Angren dans ce genre d’ambiance festive ? (sourires)
C’était incroyable ! On l’avait déjà fait une première fois en 2016 je crois, et cette fois c’était encore mieux. Il y avait beaucoup d’améliorations. C’est complètement fou, tu sais : un festival de Métal durant une croisière avec uniquement des fans de Métal ! En fait c’est assez surréaliste. On y a donné deux shows : un dans un grand théâtre avec un public qui a répondu présent, c’était en fin d’après-midi à 18h00, et notre second show a eu lieu en clôture du festival, donc c’était vraiment cool.

Et qu’as-tu préféré personnellement durant cette croisière ?
Euh, je dirai les repas et la nourriture à profusion sur le bateau. J’avoue que c’était assez décadent, ce côté festif, etc. (rires) Et sinon, une nuit, il y eut une tempête, on ne pouvait plus se balader sur le pont et on a dû prendre un autre cap afin d’évacuer le bateau durant un moment. C’était assez inhabituel.

Ardek, l’an dernier tu as collaboré de nouveau avec Till Lindemann et Peter Tägtgren sur le second album de Lindemann F & M (Frau Und Mann). Peux-tu nous dire quelques mots sur ton rôle dans ce projet parallèle ?
Oui, j’ai de nouveau effectué les arrangements et orchestrations sur ce deuxième album de Lindemann. J’ai également écrit et composé une des dernières chansons du disque, « Wer Weiss Das Schon » (NDLR : en français « Qui peut le savoir ? »). Une nouvelle fois donc, ce fut génial d’être impliqué dans cette expérience.

Tu avais déclaré il y a quelques temps chez nos confrères de Metal Heart (UK) que l’une de tes principales influences artistiques pour Carach Angren a été au départ Marilyn Manson ? En quoi ce dernier a-t’il a pu t’influencer dans ta musique, l’atmosphère ou bien le style de Carach Angren précisément ?
Oui, mais c’était uniquement en termes de choix de production et d’arrangements à l’époque. En fait, j’écoutais son album The Pale Emperor (Cooking Vinyl-2015) et il y a un morceau au début très Heavy, avec beaucoup de basse sur la chanson (« Killing Strangers »). Je voulais savoir comment sonner ainsi avec une telle approche cinématographique.  J’ai alors cherché qui avait mixé l’album parmi les crédits de l’équipe technique sur l’album, et il s’avère que c’était Robert Carranza. Je lui ai demandé comment il faisait et s’il pouvait nous aider car je voulais avoir cette approche  avec une vraie identité artistique comme un film sur chaque chanson individuellement et non avoir une production sonore et un mixage identique sur l’ensemble de l’album comme c’est bien souvent le cas de nos jours sur un album de Métal. J’avais besoin que chaque titre sonne individuellement avec son histoire. Et depuis, ce gars-là Robert Carranza travaille avec nous et a mixé et masterisé d’ailleurs notre nouvel album Franckensteina Strataemontanus.

Mais d’un aspect plus théâtral, de l’ambiance générale, et des paroles, Marilyn Manson a-t-‘il été une influence à ce niveau-là dans la genèse musicale de Carach Angren au début de votre carrière ?
Non, je ne pense pas vraiment. Il est américain, nous on est plus parti d’une base Black Metal européenne. Il peut y avoir des choses communes, oui, mais on n’a jamais vraiment suivi la même voie même si récemment tu vois j’écoutais les albums plus récents de Marilyn Manson.

Maintenant, parle-nous de ce sixième album Franckensteina Strataemontanus qui succède à Dance and Laugh Amongst The Rotten. Comment est né ce concept autour de Frankenstein dans ton esprit ? L’écriture et la composition ont-ils été faciles ?
En fait, c’est parti d’un rêve, d’un cauchemar que j’ai eu : j’ai vu un vieil homme, avec des yeux démoniaques… J’ai fait des recherches dans les livres ce qui se pouvait se rapprocher dans la littérature et cela m’évoqué Frankenstein. Cet horrible personnage damné, c’est Johann Conrad Dippel qui était un docteur théologien et alchimiste en Allemagne. C’est lui qui inspira Mary Shelly pour son roman. Le mythe est parti de là. Pas beaucoup de gens savent cela mais c’est lui qui a donné naissance au personnage de Victor Frankenstein. J’ai donc voulu parler de cela sur ce nouvel album : sa vie, sa notoriété à l’époque, son histoire et ses expériences (cf. l’alchimie) et ses points de vue sur la religion ou plutôt antireligieux à l’époque (Fin XVIIème-début XVIIIème siècle). Il fut considéré comme hérétique et persécuté en Allemagne, allant aux Pays-Bas et en Suède. Il voulait créer un élixir de vie et le vendre. Il a écrit plusieurs ouvrages et traités. J’ai trouvé ça intéressant de raconter cela sur un disque à notre façon. Ce nouvel album est aussi d’une certaine façon expérimental à son tour, pour nous, j’ai essayé de nouvelles orchestrations, de nouvelles programmations industrielles, etc. J’ai été un peu plus loin encore cette fois.

Es-tu fasciné personnellement par l’occultisme, la magie, l’ésotérisme également ?
Oui, tout à fait, je ne pratique pas vraiment mais je lis beaucoup sur les rites, le spiritisme, comprendre des concepts là-dessus et me documente pas mal sur ça oui. En l’occurrence ici, je me suis intéressé au livre de Mary Shelly aborde cela d’ailleurs d’une manière moderne presque. Par rapport aux films sur Frankenstein, son roman parle de tout ça avec plus de détails, des lamentations de la créature, quand elle va se cacher dans la forêt, ses émotions aussi. On a tendance à faire passer Frankenstein pour un monstre stupide, or il est intelligent et on le voit bien dans le livre ça. Sinon je lis surtout en fait des choses sur le développement spirituel, la peur, pas trop la magie.

Donc tout cela t’a influencé sur l’écriture de ce nouvel album ?
Complètement, et c’est parti de ce cauchemar. J’entendais ces notes de piano que j’ai enregistrées sur Franckensteina Strataemontanus. Bien sûr, à partir de là, j’ai tout amplifié m’inspirant du vrai docteur Frankenstein et du roman.

Selon toi, quels liens ou connexions peut-on établir entre le précédent album et ce nouveau disque Franckensteina Strataemontanus ? Et comment comparais-tu les deux albums dans leur évolution musicale ?
Il y a bien sûr quelques points de connexions, on retrouve des chansons avec certains mêmes schémas que l’on a déjà faits sur Dance And Laugh Amongst The Rotten mais avec un niveau supérieur en poussant chacun des éléments un peu plus. On a plus expérimenté sur le nouvel album. Mais on a aussi voulu faire des chansons plus immédiates et catchy tout en préservant cette atmosphère lugubre, comme sur la  chanson-titre, mais aussi « Monster », « The Necromancer »… On peut toujours comparer les albums, bien sûr. Par exemple, on retrouve  des choses similaires au morceau « « Pitch Black Box » présent sur le précédent album, ce côté rythmique très martial.

Justement, les nouveaux morceaux sont très rythmés, il y a une approche très dynamique grâce à un tempo accrocheur comme le tic-tac d’une horloge ou le cadencement d’une machine par exemple sur les titres « Franckensteina Strataemontanus ou « Monster ». « Alors, comment composes-tu généralement, toi qui es issu de la musique classique, Clemens ? À partir d’un instrument traditionnel ou bien d’un ordinateur ? Quel est le processus chez Carach Angren ?
La plupart du temps, les chansons naissent en général à partir d’un clavier ou d’un piano, mais parfois je peux très bien partir d’un riff à la guitare couplé au piano. Mais très souvent je compose au piano, comme par exemple la chanson « Franckensteina Strataemontanus » à laquelle j’ai rajouté petit à petit par-dessus les samples et une boîte à rythmes. Il peut y avoir un air, des chœurs que j’enregistre alors vite sur mon téléphone. En fait, tu sais, parfois ça vient tout de suite, en quelques secondes, en un éclair, notamment à la guitare ou au piano donc, mais je peux rester aussi vingt-quatre heures dessus et parfois rien ne sort… (rires)

À la fin de l’album, une chanson intitulée « Frederick’s Experiments ». Est-ce en lien avec le célèbre pianiste et compositeur franco-polonais Frédéric Chopin ?
Ah non ! Je vois ce que tu veux dire et j’aurai bien aimé, mais non, désolé, il n’y a aucun lien. Il s’agit d’un bonus track qui fait référence à l’empereur sanguinaire Frédéric de Hohenstaufen1 (Frédéric II) du St Empire Romain Germanique au XIIIème siècle, petit-fils du célèbre empereur Frédéric Barberousse. Il fit des expériences cruelles sur les êtres humains à but scientifique, comme le Dr Frankenstein en fait. On a donc mis cette chanson à part.

Que répondrais-tu si Tim Burton te téléphonait pour t’inviter à faire la musique de son prochain film ?
Je répondrais assurément « oui, allons-y ! » car j’aime beaucoup Tim Burton, et notamment aussi son compositeur Danny Elfman qui fait ses célèbres musiques de films. Dernièrement, j’ai vu Dumbo et ai adoré la B.O. d’ailleurs.

Surtout que l’aspect visuel et théâtral revêt une part importance dans l’univers de Carach Angren ? Il y a tout une mise en scène en concert, dans vos vidéo-clips, etc.
En effet, on se maquille tous, avec des costumes, on essaie de faire des vidéos pour nos chansons comme des contes d’horreur. Pour un groupe de nos jours, l’aspect esthétique est primordial et va de pair avec la musique, surtout pour l’atmosphère de Carach Angren.

Et crois-tu aux fantômes personnellement ?
Pas dans une forme physique ou matérielle, mais oui. J’ai une vague idée oui. Par exemple quand quelqu’un décède, son âme va quelque part. J’aime à croire cette idée. Sur le précédent album, quand on a fait réaliser l’artwork auprès de Costin Chioreanu (NDLR : artiste  roumain), il m’a dit avoir dessiné ses propres visions de fantômes qu’il avait dans ses rêves quand il a dessinait la pochette. Et tu vois, j’ai eu comme cette vision de Johann Conrad Dippel qui m’est apparu dans mon cauchemar. Il a inventé et découvert différentes choses comme le bleu de Prusse ou l’huile animale à laquelle il a donné son nom qui sont bel et bien réels dans notre quotidien encore aujourd’hui. Son fantôme est encore là d’une certaine manière. Regarde la couleur bleue de Facebook ! (rires)

Enfin, quel serait ton Frankenstein à toi ? Quel serait ton monstre ou ton pire cauchemar qui te chante au quotidien ? Donald D. Trump par exemple ? (rires)
(rires) En fait, je suis mon propre Frankenstein donc je dirai moi-même ! (rires) Car parfois je me fais peur tout seul avec ce  que j’écris et ma musique qui va avec quand j’expérimente en studio…

ALBUM DU MOIS DANS METAL OBS n°93 (été 2020)

CARACH ANGREN
Franckensteina Strataemontanus
Horror Metal
Season of Mist
★★★★★

Passionnant d’un bout à l’autre, Franckensteina Strataemontanus s’avère encore plus catchy que son prédécesseur notamment grâce aux durées des chansons parfaitement calibrées sans pour autant minimiser l’ambiance de chacune d’elles (3 mn pour l’énorme chanson-titre). Le trio batave continue d’expérimenter en studio, tels des savants fous (l’intro de la chanson-titre, « The Necromancer » aux faux airs rammsteiniens, « Monster » et ses percussions). Chaque morceau possède sa propre histoire (« Sewn For Solitude » et son violon frénétique). Carach Angren recèle ici de génie notamment au niveau des orchestrations et des arrangements signés Ardek (ce n’est pas un hasard s’il a collaboré sur les albums de Lindemann au côté de Peter Tägtgren), dignes des meilleures B.O. de Danny Elfman pour Tim Burton. Bien plus qu’un simple groupe de Black Metal, le groupe néerlandais développe encore son style mêlant Metal symphonique, Gothic mais aussi Indus, faisant de ce monstrueux sixième opus une nouvelle référence du genre. [Seigneur Fred]

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