DEEP PURPLE
Solide comme un Rock

Le vingt-et-unième album studio de Deep Purple a été unanimement salué par la critique. Il constitue la troisième partie d’une trilogie produite par Bob Ezrin (Pink Floyd, Kiss, Alice Cooper). Il marque surtout un retour aux digressions euphoriques. Whoosh! balance en effet entre références classiques et contemporaines avec un zeste de prog’ et une bonne dose de technique.[Entretien avec Steve Morse (guitare) par Philippe Saintes Photos : Ben Wolf]

Steve, comment se passe ton quotidien en cette période de Covid-19 ?
Je m’occupe beaucoup sur internet. Je reçois un grand nombre d’interviews par email. J’enregistre aussi des idées de chansons. Je n’ai jamais passé autant de temps devant mon ordinateur. C’est très compliqué d’organiser et de structurer un spectacle ou de planifier des répétitions actuellement. Je doute que nous pourrons encore tourner cette année pour promouvoir le nouvel album. Nous savons à quel point la crise du Covid-19 a impacté les intermittents du spectacle, le groupe a décidé de recruter des fonds au profit des équipes de tournée. La situation est catastrophique non seulement pour toutes les personnes qui nous accompagnent sur la route mais aussi les tourneurs, les fournisseurs d’éclairage et d’équipements sonores. Des roadies nous accompagnent depuis des dizaines d’années. Sans eux il n’y a pas de shows. Certains sont âgés et n’ont pas d’autres alternatives dans la vie. Nous sommes une grande famille.

Abordons le sujet principal, à savoir le nouvel enregistrement. Trois mots peuvent le résumer : émulation, diversité et spontanéité…
J’aime ce que tu viens de dire mais c’est difficile pour moi de donner un avis personnel car l’album est encore très frais. Je n’ai pas le recul nécessaire pour l’analyser objectivement. Reviens me poser la question dans quelques mois. Je souhaite que les gens creusent vraiment notre album et qu’ils passent le mot à d’autres personnes. Nous avons travaillé sur de nombreuses idées lors des sessions d’écriture il y a un an et demi. Je me rappelle du rôle joué par chacun dans l’élaboration des morceaux, des changements apportés par rapport à une idée de base, de nos jams… Whoosh! n’est pas un remake des deux réalisations précédentes Now What?! (2013) et Infinite (2017) mais on retrouve le même enthousiasme. Nous avons tout d’abord effectué quelques sessions en Allemagne pour des échanges entre musiciens et commencer à travailler. Quelques mois après, le groupe s’est retrouvé dans le studio de Bob Ezrin à Nashville. Personne ne savait à l’avance ce qui allait sortir. Nous étions placés dans des pièces différentes mais chacun pouvait voir l’autre derrière de grandes vitres. J’apprécie vraiment cette façon de travailler old-school.

On a le sentiment qu’il s’agit de votre disque le plus « progressif »…
C’est vrai. J’y suis peut-être pour quelque chose (il sourit). Deep Purple a toujours conservé ses racines hard rock mais continue d’expérimenter. Nous ne nous sommes pas dit : « nous allons faire un disque de rock prog ». Ce n’est qu’au moment du mixage que nous nous sommes aperçus à quel point il l’était. Même si la base est très rock, on trouve des éléments déroutants. Je ne suis pas mécontent d’avoir exploré d’autres gammes de sensibilité. Je n’essaie pas d’influencer les autres. Nous avons un fonctionnement réellement démocratique. J’apporte mes influences mais c’est le groupe qui décide. Le processus reste très naturel. Don (Airey) et Roger (Glover) ont aussi apporté des musiques et des arrangements. Même Ian Paice apporte son point de vue. On parvient encore à s’étonner les uns les autres. C’est même ça qui nous fait avancer.

Irais-tu jusqu’à dire que vous avez chacun le même apport créatif ?
Tu ne peux pas avoir une contribution égale sur un disque. Je viens avec des harmonies de guitares, des riffs. Ian Gillan écrit la majorité des textes, Roger apporte des mélodies vocales et ainsi de suite. Tout le monde essaie d’apporter de nouvelles choses et c’est difficile de ne pas en tenir compte.

Et vous vous mettez facilement d’accord ?
Oh non (sourire). C’est la raison pour laquelle nous avons engagé Bob Ezrin. Sa méthode est de retirer le meilleur de chaque musicien. Il me dit souvent : ‘Steve, je souhaite que tu évites de reproduire ce que tu fais avec Dixie Dregs ou Flying Colors’. C’est un plaisir d’écouter ses conseils. Cela nous a enlevé une certaine pression. Bob exige de la spontanéité. Il est aussi à la pointe de la technologie. En studio, il peut être considéré comme un membre essentiel de notre petite bande. C’est important d’avoir une personne extérieure, qui a un regard critique et objectif pour éviter les amertumes. Bob est là pour apporter la touche finale. Personnellement, j’aurais donné davantage de résonance à la section rythmique lors du mixage et opté pour d’autres soli sur quelques titres mais je ne suis qu’un cinquième du groupe. Chaque membre doit œuvrer non pas individuellement mais avec tous les autres. Je trouve que plus nous vieillissons, plus nous prenons du plaisir…

Il y a des parties diaboliquement compliquées sur le titre « Nothing At All ». Ce n’est pas de l’arrogance. Cela démontre plutôt votre volonté de repousser les limites, les possibilités.
Absolument. J’ai été surpris par le résultat. Ian Gillan m’a dit : « J’adore ta partie de guitare ! » « Ah oui, cool ! ». J’aime répondre à la ligne vocale. Cela donne une dynamique à la chanson. Les interventions guitare-claviers sur la partie centralesont comme les mélanges d’un Buck’s Fizz (cocktail). Don et moi, on adore ça ! C’est une chanson différente du répertoire de Deep Purple que ce soit au niveau du feeling ou des arrangements mais elle a aussi un côté puissant.

Don Airey rayonne sur l’album. Il y a une véritable alchimie particulière entre vous deux. Es-tu d’accord avec cette analyse ?
Don est non seulement un artiste exceptionnel mais aussi une personne très intelligente, capable de mémoriser la musique plus rapidement que nous tous. C’est l’un des musiciens les plus fluides en improvisation. J’aime le côté aventureux de Don. Nous nous affrontons l’un et l’autre dans une sorte de compétition très amicale. Nos jams avec Ian Paice sont intéressantes sur le plan créatif.

Chaque morceau de Whoosh ! possède des textes élaborés. Cela signifie que vous souhaitez faire passer de vrais messages…
Qui sait ? Peut-être avons-nous été influencés par le contexte actuel : l’économie, le climat, la politique… Ian (Gillan) s’est interrogé sur les nombreux paradoxes de l’existence. Il aborde souvent des thèmes qui le concernent sur le plan personnel.

Combien de titres allez-vous jouer en live ?
Trois chansons ont selon moi le potentiel pour devenir des classiques de Deep Purple. « Throw My Bones » a un côté accrocheur. C’est également le cas de « The Power Of Freedom » et « Dancing In My Sleep », des musiques plus faciles pour capter l’attention du public et ne pas faire baisser l’ambiance durant le set. Une fois encore, le choix revient au groupe. Ian Gillan choisira ensuite parmi nos propositions, les titres sur lesquels il se sent le plus à l’aise vocalement. C’est toujours comme cela que nous fonctionnons. Le setlist est habituellement finalisée la veille du premier concert.

Vous avez beau être plus que sexagénaires, Deep Purple reste une machine à tourner. Le groupe a joué presque partout dans le monde. Vous reste-t-il cependant des terres à conquérir ?
J’aimerais davantage tourner en Afrique et dans les pays de l’Est ainsi que dans de plus petites villes en Amérique du Sud. Toutefois, je ne peux pas me plaindre du carnet de route de Deep Purple. C’est un choix et un mode de vie. En tant que « performers » nous avons besoin d’être sur la route. Rencontrer le public reste un moment magique. L’enthousiasme est tel que parfois, on ne sait plus dans quel pays nous nous trouvons. L’énergie de la foule est la même partout. La musique possède un merveilleux pouvoir d’unifier.

Si tu devais résumer ta carrière en cinq chansons. Quels titres choisirais-tu ?
« Take It To The Top », un instrumental de Dixie Dregs, « Nothern Lights » interprété en duo (guitare-violon) pour l’album Free Call. « Sometimes I Feel Like Screaming » qui est ma première composition pour un album de Deep Purple (Purpendicular). « Uncommon man » un titre hommage à Jon Lord que l’on trouve sur Now What ?! Don et moi avons improvisé l’intro de ce morceau. Ce fut une expérience interactive mémorable. Enfin, « A Place In Your World » de Flying Colors, un rock mélodique mais intense. J’ai toujours aimé ce type de composition…

Tu as d’autres passions en dehors de la musique. Tu es ainsi un pilote d’avion chevronné. As-tu déjà pris les commandes d’un appareil avec les autres membres de Deep Purple comme passagers ?
Nous avons un excellent capitaine allemand pour cela. Il m’a déjà proposé de prendre les commandes mais au pont de vue des assurances, c’est risqué. Je n’ai plus ma licence de pilote de ligne. Je vole régulièrement à bord d’un appareil léger pour mon plaisir. J’éprouve des sensations différentes de la scène. C’est relaxant. Je suis fasciné par les aéronefs depuis l’enfance. La noblesse du ciel nous apprend à rester humbles !

J’ai eu l’occasion d’interviewer tous les membres du line-up actuel de Deep Purple, excepté Roger Glover. Promets-moi d’enregistrer un autre disque avec le groupe pour me permettre de discuter avec lui la prochaine fois.
On les traite de dinosaures mais ces types viennent d’une autre planète sur laquelle les gens vivent jusqu’à 300 ans au moins. Ils ont décidé de nous rendre visite sur cette terre. Je serai mort depuis longtemps quand Deep Purple arrêtera d’enregistrer des albums, crois-moi. (Rires)

CHRONIQUE ALBUM

DEEP PURPLE
Whoosh!
Classic Rock
EarMusic/Warner Music
★★★★☆

Whoosh! Déjà le nom amuse. Il y a du subliminal là-dessous. Ainsi, la plage d’ouverture « Throw My Bones » est une réflexion sur la carrière de Deep Purple. L’auditeur ne tombera pas sur un os avec ce premier titre direct taillé pour la scène. « Drop The Weapon » montre une facette plus exotique au contraire de « We’re All The Same In The Dark » du Purple pur jus sur lequel Steve Morse étale son époustouflante dextérité. « Nothing At All » montre qu’après plus de 50 ans de carrière, le groupe continue d’explorer de nouveaux horizons musicaux. Vocalement, Ian Gillan a trouvé sa zone de confort, donc pas besoin de brailler comme il le chante avec feeling sur « No Need to Shout ». « Step By Step » est une pièce musicale de très haut vol, magnifiée par la grande complicité entre Morse et Don Airey. « What The What » est une composition plus dansante et jubilatoire dans le style de feu Little Richard. On retrouve un terrain plus aventureux et captivant sur « The Long Way Round ». Dès les premières notes, on sent l’inspiration ! Suivent le fascinant « The Power Of The Moon », un rapide interlude musical (« Remission Possible ») et le surprenant « Man Alive » exécuté par un groupe au sommet de son art. Gillan utilise ici le même type de narration énigmatique employée sur « On Top Of The World » (titre d’Infinite). L’album se clôture avec deux chansons plus groovy : le dispensable instrumental  «  And the Address » exhumé du Deep Purple MK I et l’entraînant « Dancing in My Sleep » mené par un son futuriste. Ce 21è opus est-il le dernier de cette formation qui plane au-dessus de la masse ? Si c’est le cas, la révérence finale est magnifique, à la hauteur de la carrière de Paice, Glover & Co. [Ph. Saintes]

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