DICTATED : Même pas peur !

Les Pays-Bas ont beau être un petit et plat pays, ils ont toujours vu naître d’intéressantes formations de Métal extrême souvent coincées malheureusement entre la scène allemande et celle scandinave. Formé tout de même en 2007 et remarqué par son second album The Deceived paru en 2014 sur le fameux label Metal Blade, le groupe Dictated a bénéficié d’un autre soutien durant quelque temps grâce au leader de God Dethroned, Henri Sattler (dont le nouvel album Illuminati sort en ce début d’année 2020), qui se produisit parfois live à leurs côtés au poste de bassiste durant l’année 2015 par exemple. L’autre atout, et non des moindres, mise sur le charme d’une partie de son line-up et réside en la présence de deux musiciennes Sonja Schuringa (avec qui nous avions fait connaissance en 2014) et Jessica Otten. Mais attention, réduire le Brutal Death Metal de cette terrible et sympathique formation néerlandaise à ce duo de choc et de charme serait une erreur, surtout à l’écoute de leur troisième galette bien plus personnelle et convaincante nommée Phobos. [Entretien avec Jessica Otten (Basse) Par Seigneur Fred – Photos : DR]

Comment ça va depuis la sortie de votre précédent album The Deceived paru en 2014 pour lequel je m’étais entretenu avec ta collègue et cofondatrice de Dictated, Sonja ? Avec tes propres mots, pourrais-tu résumer ces cinq dernières années passées au sein du groupe, s’il-te-plaît ?
Nous allons tous bien ici, je te remercie ! Ça a été un peu mouvementé ces derniers mois, mais ce ne furent que des bonnes choses ! Ce n’est pas facile de résumer ces cinq dernières années en quelques phrases, mais je vais faire assurément de mon mieux… Lorsque The Deceived est sorti en 2014, nous nous sommes principalement concentrés sur notre jeu et les concerts. Nous avons fait une tournée en Europe avec Lividity et joué autant de spectacles et de festivals que possible. En 2016, nous avons même fait une tournée au Népal et en Inde ! Nous ne savions pas que ce dernier serait à l’origine de notre inspiration sur le nouvel album. Quand nous sommes revenus de là, nous avons vécu tellement de nouvelles choses que nous avions suffisamment de données et de sentiments pour écrire un nouvel album. Nous avons tout enregistré deux ans plus tard. Depuis, est donc sorti Phobos, notre nouvel album, il y a quelques semaines !

The Deceived fut publié en 2014 sur Metal Blade Rec. mais depuis vous avez quitté ce fameux label… Pourquoi n’avez-vous pas renégocié et prolongé votre contrat avec Metal Blade et avez-vous décidé de continuer par vous-même, en indépendant à la « do it yourself », pour votre nouvel album studio Phobos ?
C’est correct ! Comme nous n’avions signé que pour cet album The Deceived en particulier avec Metal Blade, nous devions renégocier pour le nouvel album. Mais entre-temps nous avons changé un peu d’idées, d’enregistrements, d’objectifs et même musicalement, nous avons reconsidéré la possibilité de s’auto-libérer. Il a fallu un certain temps à tout le monde pour être à l’aise avec cette nouvelle approche et choix artistique, mais au final, nous avons décidé de travailler dur et de nous lancer. Et ça s’est si bien passé pour nous. Nous avons maintenant beaucoup de liberté avec Phobos. Non seulement musicalement, mais aussi le droit d’auteur et la presse. Cela demande cependant beaucoup de préparation, bien sûr, d’où la raison pour laquelle nous n’avons rien sorti en 2018, année durant laquelle le nouvel album a été enregistré. Nous avions besoin de comprendre le processus de production, les idées promotionnelles et les tactiques de vente… Bref, il fallait nous préparer.

Quelques questions maintenant à propos de votre line-up actuel studio/live : qui est votre batteur officiel actuel dans Dictated à présent ? Frank Schilperoort ?
C’est bien ça ! Frank est avec nous sur le front depuis de nombreuses années et sur Phobos maintenant, il a également effectué ses premiers enregistrements avec nous. Cependant, Frank est batteur pour gagner sa vie et a de nombreux autres groupes pour lesquels il travaille (Incantation, Shining, The Monolith Deathcult, etc.). Par conséquent, Frank est répertorié comme « musicien de session » avec nous, car il pourrait s’avérer que Frank ne soit pas disponible pour certains concerts. Nous avons bien sûr d’autres batteurs prêts et en attente si nécessaire lorsque cela se produit.

Et quel est le rôle désormais d’Henri Sattler (guitariste/chanteur de God Dethroned qui sort d’ailleurs son nouvel album en début d’année 2020) dans le groupe ? Est-il le manager de Dictated ? Joue-t-il toujours de la basse sur scène avec vous ici ou là, continue-t’il parfois de vous donner un coup de main ou bien c’est définitivement fini depuis 2015 ?
Henri a toujours été un bon ami de Dictated. La scène néerlandaise est petite, vous y rencontrez tout le monde. Mais nous avons vraiment commencé à parler lors de l’un des concerts de God Dethroned et avons dit à Henri que nous avions des problèmes avec les enregistrements de The Deceived. Nous venions d’avoir un changement de line-up majeur, nous n’avons pas pu trouver un bon chanteur et nous avons eu du mal à trouver un studio. Henri voulait nous aider pour tout cela, et nous lui en sommes infiniment reconnaissants d’ailleurs. Il nous a donnés des conseils, nous a aidés à arranger les morceaux et a même joué quelques concerts à la basse avec nous live. Il nous a aidés à façonner ce que nous sommes devenus. Pour Phobos, c’est différent car depuis nous avons acquis suffisamment d’expérience pour interpréter, enregistrer et arranger nos chansons par nous-mêmes. Nous sommes toujours de bons amis bien sûr avec Henri ! (sourires)

Artwork de Phobos, nouvel album de Dictated (autoprod.) paru fin oct. 2019

Maintenant, vous sortez votre troisième album intitulé Phobos qui est auto-produit. Il est très lourd et puissant comme album de Death Metal, encore une fois, mais il semble plus varié que vos deux albums précédents. Des morceaux comme « Taphe » (très lourd et sombre), « Apeiro » (plus mélodique avec des influences suédoises de Death Metal), « Glosso » avec ses percussions… Es-tu d’accord avec cette analyse ? Qu’en penses-tu à chaud ?
Absolument ! Avec The Deceived, nous avons suivi notre chemin bien connu du Death Metal (old school). Mais depuis cet album, nous avons beaucoup grandi musicalement au fil des ans. En combinant cela avec toute la nouvelle inspiration provenant de notre voyage en Asie, le fait que nous avions un album concept en projet à venir, nous nous sommes donc éloignés quelque peu du Death Metal traditionnel. Avec cet album, nous ne voulions plus entrer dans la boite Death Metal par définition. Nous voulions juste écrire ce que nous ressentions, au lieu de ce qui semblait bon. Cela signifie également que nous avons maintenant onze titres complètement différents, tous avec des sentiments différents et une inspiration plus personnelle.

Vidéo clip de la chanson « Hypso » extraite de Phobos (autoprod. 2019)

Il y a deux invités sur l’album Phobos. Tout d’abord, notre chanteur et ami national Julien Truchan de Benighted qui hurle sur la chanson d’ouverture « Hypso ». Comment est née cette collaboration ? Vous avez peut-être tourné avec Benighted dans le passé et vous vous êtes rencontrés lors de la tournée The Deceived ?
En fait, nous sommes de bons amis avec Julien et Benighted depuis des années ! Nous avons en effet fait quelques concerts ensemble et sommes toujours restés en contact. Comme « Hypso » est l’un des morceaux les plus brutaux et percutants du nouvel album, cela requérait une petite touche supplémentaire de brutalité… (rires) Julien est un chanteur tellement fantastique. En fait, il s’agit du premier nom qui m’est venu à l’esprit quand on a réfléchi à une voix d’invité ! Et nous sommes extrêmement reconnaissants qu’il ait voulu faire partie de Phobos.

Ensuite, l’autre invité sur Phobos n’est autre que le guitariste néerlandais Mendel bij de Leij (ex-Aborted, Escadron, Mendel, Oracles et ex-System Divide…) qui fait partie de la même petite scène nationale que vous. Il joue ici un solo sur le morceau « Athaza Gora ». C’est un ami, je présume ?
Oui, en effet ! Comme tu dis, la scène est petite ici aux Pays-Bas mais aussi en Belgique, alors tout le monde se connaît plus ou moins l’un l’autre. On connaît Mendel depuis qu’il joue avec Aborted (NDLR : guitariste de 2012 à 2019 dans le groupe belge). C’est un maître en la matière tout bonnement incroyable à la guitare quand il joue. Nous sommes allés le voir pour nos préparatifs d’instruments en studio (sonorisation des guitares, effets, etc.) et on a plaisanté ensemble sur l’idée qu’il vienne jouer et taper le bœuf avec nous sur le nouvel album. Et cela l’a conduit finalement à apposer un solo de guitare sur le nouvel album !

Êtes-vous proches de cette scène Métal néerlandaise très active et même celle de la Belgique voisine ? Avez-vous des contacts réguliers et affinités avec des groupes tels que Aborted, God Dethroned donc, mais aussi Asphyx, Thanatos, Centurian, Izegrim, Altar, Gorefest, Berzerker Legion, etc. ?
Tout à fait. God Dethroned et Aborted on en parlait justement précédemment. Et oui, on est proche également et tout spécialement du groupe Izegrim qui est cher à notre cœur. Ils ont commencé à peu près en même temps que nous. On s’est toujours soutenu énormément l’un l’autre. Il en va de même avec les autres formations plus ou moins connues. La scène hollandaise est petite, mais aussi très compétitive. Mais on a jamais été en compétition avec Izegrim toutefois, au contraire, on fait attention à l’un l’autre. Cela m’attriste de voir qu’ils vont arrêter cette année pour faire chacun leur propre truc et suivre leur voie les uns les autres, mais on est aussi ravis et honorés même d’ouvrir pour eux leur tout dernier concert en salle en juin 2020 avant leur participation au festival Into The Grave ici aux Pays-Bas.

A présent, parlons davantage de votre nouvel album Phobos et de sa thématique. Est-ce un concept album autour des différentes peurs dans la psychologie humaine et la philosophie grecque car toutes les chansons renvoient à des mots grecs et diverses phobies : « Hypso », « Thalasso », « Lysso », « Taphe », etc. ? Peux-tu résumer le concept lyrique de Phobos ?
Phobos est notre tout premier concept album. Il tourne en effet autour de la peur. Nous avons pris ce sujet et l’avons écrit dans le sens le plus large possible. Son inspiration nous est venue après notre tournée au Népal et en Inde en 2016. Cette tournée a été absolument fantastique, mais nous avons également ressenti de nouvelles émotions et de nouvelles peurs. Quand nous sommes rentrés chez nous, nous avons jeté et mis tout ce que nous avions sur le papier, et avons commencé avec une nouvelle ardoise. Je ne me souviens même pas qui est venu avec le véritable concept de la peur, mais à un moment donné, tout s’est mis en place. Sur le plan lyrique, nous voulions garder les choses excitantes et personnelles. On a combiné d’autre part certaines des craintes (ou phobies) avec des événements historiques ou mythiques comme l’histoire d’Icare qui a volé trop près du soleil ou les soldats russes qui ont été contraints de se battre pour l’éternité pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons traduit ainsi onze peurs à travers onze morceaux constituant Phobos. Cinq d’entre eux sont même basés sur nos vraies peurs. Chaque membre possède une piste personnelle. À vous de deviner quelle phobie appartient à qui dans le groupe ? (rires)

Vidéo clip de « Taphe » extrait du nouvel album Phobos (autoprod. 2019).

Lors de notre précédent entretien en 2014 avec Sonja, je lui avais demandé quels étaient les particularités d’avoir deux femmes guitaristes/bassistes au sein du line-up de Dictated et si ce n’était lourd parfois à cause des clichés dans la musique Rock et Métal en général et le sexisme ambiant même si vous en jouez parfois et devez redoubler pour vous imposer technique. A l’époque, Sonja m’avait répondu que vous vous considériez simplement comme des guitaristes avant toute chose, et que cela avait à la fois des avantages et des inconvénients d’être deux nanas au sein d’un groupe de Métal. Depuis, il y a eu l’affaire Harvey Weinstein en 2017 et le mouvement « Me too », et plus généralement la parole féminine s’est libérée dans les médias et particulièrement du show business. Avez-vous noté une évolution des comportements masculins parmi votre public durant vos nombreux concerts ? Et n’es-tu pas lasse parfois des clichés sexistes dans la musique Rock et Métal où les femmes jouent la carte de la séduction sur les photos promotionnelles destinées principalement à un public d’hommes au détriment souvent de la musique ?
Ouh la la, je m’aventure en terrains minés là… (rires) Mais honnêtement, je ne vois pas beaucoup de changements à notre niveau. J’aimerais bien qu’il y en ait davantage, bien sûr… La scène Métal est toujours composée à 80% d’hommes et 20% de femmes, également sur scène mais aussi dans le public principalement. Nous restons fidèles à nos déclarations de 2014. Nous voulons être connus pour la musique et les instruments que nous jouons, pour notre musique, et non pour le fait que nous sommes deux femmes dans Dictated. Et d’un autre côté, oui cela a encore des inconvénients. Nous avons encore beaucoup de préjugés sur notre jeu à la guitare et les choses que nous accomplissons. Il est toujours facile de « blâmer » le fait que nous ayons une femme dans le groupe en disant des choses du genre : « Oh, ils ont signé avec Metal Blade, ça doit être parce qu’ils ont deux femmes dans le groupe » ou bien : « Les gens aiment leurs concerts à cause des nanas et de leurs seins, c’est facile ! » (rires). Tu sais quoi ? C’est lourd, absolument fatigant, surtout que pour Phobos, nous avons absolument tout fait nous-mêmes ensemble (production, promotion, distribution, droits d’auteur et Copyright, etc.) donc l’argument « femme » est non recevable. J’aimerais bien rencontrer les gens qui pensent de cette façon, leur faire prendre une guitare et produire un album, et on verra… Je suis extrêmement fière de ce que nous avons accompli avec ce nouveau disque. Je peux toujours regarder en arrière sur ce que l’on a fait avec une attitude forte, fière et positive, et surtout sur la manière dont nous avons accompli tout ce travail.

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