GREG PUCIATO
Crise de la quarantaine

Quelle actualité bouillonnante de Monsieur Greg Puciato ! Ne pouvant rester inactif, l’ex-chanteur de The Dillinger Escape Plan (The DEP pour les intimes) revient cet automne avec pas moins de deux nouveaux albums simultanément : un collectif tout d’abord avec le side-project Killer Be Killed accompagné là de Troy Sanders (Mastodon) et Max Cavalera (Soulfly, ex-Sepultura) ; et un premier album solo pour lequel nous avons contacté l’artiste américain du côté de L.A.. Très bavard, Greg nous a parlé de son disque hybride et très personnel Child Soldier : Creator Of God… [Entretien avec Gregory John Puciato (guitare/basse/chant/programmation) par Seigneur Fred – Photos : DR]

GREG PUCIATO

En tant que citoyen américain, as-tu suivi le débat hier soir (NDLR : entretien réalisé le 30/09/20) à la TV entre vos deux candidats américains Joe Biden et Donald Trump  pour les futures élections présidentielles ? Si oui, qu’en as-tu pensé en ce lendemain de débat ? C’était plutôt pitoyable et creux, non… ? (rires)
Ouais, malheureusement… Je pense que c’était le pire débat politique que j’ai jamais vu avec le niveau le plus bas dans l’histoire de notre pays. C’est triste à dire… Ce fut exactement la preuve contraire de l’évolution de notre pays. Je pourrai t’en parler des heures mais franchement, il n’y a pas grand-chose à dire. Il n’y avait qu’à regarder. On aurait pu éviter ça, ce qui s’est dit avec toutes ses offenses personnelles mais c’est ce que les deux gars voulaient. Normalement, c’est ce que l’on entend généralement en off, quand les micros sont coupés, mais là non ! C’est pathétique.

Qu’as-tu fait ces trois dernières années depuis la séparation de The Dillinger Escape Plan et votre dernière tournée d’adieux en 2017 ? Tu n’as pas chômé, on dirait…
Hé bien, je n’ai pas vraiment eu de break à vrai dire depuis l’arrêt de The Dillinger… On a fait cette ultime tournée, puis début 2018 j’ai enregistré et produit le second album de The Black Queen, un projet électro (Synthwave) avec Justin McGrath (roadie de Puscifer, A Perfect Circle, NIN) et Steven Alexander, notre ancien roadie. L’album Infinite Games est sorti sur notre label Federal Prisoner avec Jesse Draxler en septembre 2018. On a fait quelques concerts mais j’ai dû attendre un peu pour retrouver totalement ma voix. Et après plusieurs séries de concerts avec The Black Queen jusqu’en mars 2019, j’ai alors enchaîné avec l’enregistrement du nouvel album de Killer Be Killed en studio d’avril à juin 2019. Ensuite, j’ai fait une pause dans la musique pour écrire et faire un livre de photographie avec des portraits, etc. Mais j’avais pas eu le temps d’enregistrer tout mon chant pour Killer Be Killed, alors je suis retourné en studio en janvier 2020 où là tout le monde était disponible pour finir tout le second album Reluctant Hero qui sort aussi maintenant. Sept mois se sont écoulés pour que l’on achève tous les chants avec Max Cavalera et Troy Sanders. Pendant ce temps-là, j’avais plus rien à faire, et je devenais presque fou car il fallait  que je trouve une nouvelle collaboration, un truc à faire. Du coup, c’est la première fois où je fais ça : écrire pour moi-même, et c’est donc venu ainsi… En fait, au bout de quelques semaines, je me suis aperçu que ça deviendrait un album solo. J’avais un peu peur au début comme d’habitude en général, mais rapidement à la peur s’est mêlé de l’excitation.

Entre temps, tu n’as pas chanté aussi au côté de Jerry Cantrell (Alice In Chains) à Los Angeles, là où tu vis dorénavant pour deux concerts en fin d’année dernière ? (sourires)
Si ! En fin d’année dernière, Jerry m’a contacté m’invitant à chanter avec lui sur scène en décembre pour deux concerts à L.A. en effet. J’étais alors en train de bosser sur mon projet solo petit à petit et me posais un peu. Il m’a demandé d’apprendre une vingtaine de chansons de son répertoire solo et d’Alice In Chains. Comment dire non ? (rires) J’ai beaucoup appris en travaillant avec lui. Ma voix devait s’harmoniser avec la sienne, il fallait donc être précis. C’est carré et sérieux avec Jerry. Quand j’étais pas au point, ça se voyait de suite et là ça craignait ! (rires) Je me suis beaucoup entraîné chez moi en m’enregistrant, etc. Ce fut vraiment cool. En plus, il y avait aussi notre ancien batteur Gil Sharone avec nous (ex-The DEP, Stolen Babies, ex-Marilyn Manson) avec qui je n’avais pas joué depuis 2009 ! Bien sûr, le contexte était différent ici, plus sérieux, ça faisait drôle…

Jerry Cantrell avait annoncé au printemps dernier commencer l’enregistrement d’un nouvel et troisième album solo studio, soit près de vingt ans bientôt après Degradation Trip (Roadrunner Rec. 2002). As-tu participé à celui-ci ou bien son invitation était uniquement live ? T’en a-t’il touché deux mots de son nouvel album solo que l’on attend avec impatience ?
Non, ma participation fut uniquement live le temps de deux concerts en décembre 2019. On est simplement amis avec Jerry, tu sais. Je ne peux pas t’en dire plus sur son nouvel album, navré, mais le peu que j’ai écouté, il s’annonce bien, ne t’inquiète pas. (sourires)

Revenons à toi et ton album solo Child Soldier : Creator of God. Tu t’es chargé de tous les instruments sur ton disque ou tu t’es entouré de personnes tout de même pour certaines choses et avoir un œil avisé ?
Alors oui, je chante, joue de la basse, de la guitare, m’occupe des claviers et des nombreuses programmations. Le producteur, Nick Rowe (Vampire Weekend), m’a aidé pour la programmation électronique et les arrangements. Il m’a beaucoup aidé à diversifier les choses en apportant environ la moitié des arrangements, mais aussi ma voix en me poussant à aller plus loin. Sinon, à la batterie, il y a plusieurs musiciens de session : Ben Koller (Converge, Killer Be Killed…) ; Chris Pennie (ex-The DEP dont il a été le co-fondateur, ex-Coheed and Cambria) et Chris Hornbrook (Poison The Well).

A la fin de The DEP, le son avait évolué et vous expérimentiez toujours un peu plus, je pense notamment à la fin de l’avant-dernier album Once Of Us Is The Killer, avec des chansons plus électro voire Pop… Tu es parti de ça là peut-être ou bien c’est davantage The Black Queen qui t’a servi de laboratoire musical ?
Non, je n’ai pas pensé ainsi spécialement ni parti de ces dernières idées avec The DEP de l’époque. Ce n’est pas conscient de ma part. J’ai vraiment commencé à bosser sur cet album solo en 2019 dans un certain état d’esprit où j’avais besoin de faire quelque chose. C’est davantage The Black Queen qui m’a aidé mais c’est très frustrant et en même temps excitant d’écrire et faire naître quelque chose et si ça ne convient pas à l’un des groupes, alors je peux le garder pour moi, et je me suis aperçu de ça en écrivant finalement cet album. Le fait que l’album sorte sous mon nom, cela m’a aidé à garder du coup une certaine ligne et m’autorise à continuer à sortir des choses, par exemple si dans vingt ans je sors un disque de piano New age, alors ça fera partie de mon travail et de mon nom, alors qu’étant plus jeune, je mais c’est beaucoup de travail de faire un album solo. C’est très prenant et très créatif, tu dois t’occuper de tout, alors qu’en groupe, tu dois attendre auprès des autres et être toujours en phase avec les autres. Ici, je peux faire ce que je veux et j’assume totalement. Si j’ai envie de passer du Grindcore à de la Pop sur un EP, je m’en moque. Je suis libre.

L’expérience des deux albums avec The Black Queen semble cependant t’avoir grandement influencé ici sur ce disque sauf que là c’est beaucoup plus personnel, non ?
Assurément. Avec The Black Queen, on a essayé d’aller le plus loin possible, comme on l’a fait avec The Dillinger Escape Plan. Mais sur Child Soldier : Creator of God, je peux faire ce que je veux et aller encore plus loin en termes de créativité et de liberté. Les claviers ici et les parties plus Pop n’auraient pas existé, c’est sûr, cependant si je ne l’avais fait auparavant dans The Back Queen. Pour moi, c’est important d’ouvrir des portes, des chemins que l’on pourra développer plus tard. Ce que je fais là c’est grâce aux choses abordées précédemment dans mes autres projets ou groupes, c’est clair.

Tu ne crains donc pas les critiques et les réactions des fans de Hardcore ou de Métal, des fans de The DEP qui te suivent ?
Non, je m’en fiche. Je ne pense pas ainsi en ces termes. Je raisonne en termes d’émotion, et ce n’est pas parce qu’il y a des guitares saturés ou que c’est plus léger ou électro que ça n’est pas intéressant. Par exemple en cinéma, quand tu vas voir un film de Tarantino, tu ne te dis pas c’est de la comédie ou de l’action. Il peut très bien avoir des scènes de drame, puis d’humour et juste après, un passage très trash. Il y a de tout et tu apprécies l’ensemble. Tu y vas pour ça, peu importe le genre, le but est de transmettre des émotions. Ce n’est pas juste un produit. Je reste assez ouvert. Tout ne se résume pas au Métal ou à l’agressivité non plus…

Child Soldier : Creator of God est en quelque sorte un bon patchwork de tes différentes influences musicales représentant bien ta personnalité versatile d’artiste multi-instrumentiste mais aussi en tant que chanteur ?
Oui, tout à fait. J’écoute beaucoup de choses différentes et je pense que ça se ressent ici. Il y a un peu de toutes mes influences : du Rock noisy, un peu de Pop, des choses plus sombres aussi, doomy, grungy, plus psychédélique ou électro, j’aime bien les vieilles choses Pop comme Tears For Fears par exemple aussi. Tout ça, c’est en moi et ça déteint sur cet album. Je mets un peu tout sur la table. Il n’y a rien que je n’assume pas ici.

Pourquoi au fait ce titre Child Soldier : Creator of God pour ce premier album ? Je pensais aux enfants soldats embrigadés dans les guerres malgré eux pour survivre dans certains pays…
Non, non, pas du tout. Au départ, je voulais utiliser simplement mon nom et finalement j’ai choisi d’appeler cet album Child Soldier… La signification est liée à l’enfance. En fait, quand tu grandis, tu es toujours le même, tu te développes mais au fond de toi tu es toujours le même, c’est juste l’apparence qui change car tu vieillis. Des fois je me dis : « Hé mec, tu as quarante ans maintenant ! Tu n’as plus dix ans » car hier encore j’étais un gosse. Qu’est-ce qui s’est passé ? Tout le monde est le produit de quelqu’un d’autre. Il y a eu beaucoup de combats, de choses, on évolue et tu construis ta vie. Quand on réalise ça, alors tu te dis que ton voyage n’est pas fini et tu te dis que ça passe vite et ta vie commence alors vraiment. Voilà pourquoi cet album s’appelle ainsi et sort sous mon nom, il faut s’intégrer et s’assumer tel que l’on est. Il y a une question existentielle là-dedans. La pochette est truquée mais me représente derrière quand j’étais gamin et avais six ans.

En fait, tu fais ta crise de la quarantaine d’une certaine manière ? (rires)
Ça doit être ça ! (rires) C’est vrai, j’ai quarante ans maintenant, j’ai eu ou ai plusieurs projets et groupes (The Dillinger Escape Plan auparavant, The Black Queen, Killer Be Killed…) mais je suis la même personne parmi tout ça. Je reste un enfant.

Le nom de ton label Federal Prisoner est-il en lien avec John Dillinger et la création nécessaire du FBI Federal Bureau of Investigation) en 1935 pour le traquer ?
Non, en fait il n’y a pas de lien avec ça, mais ta remarque est cool. C’est une pure coïncidence à vrai dire. J’ai réalisé que ça faisait en effet référence au développement du FBI pour la recherche de John Dillinger dans les années 30 après avoir choisi le nom en 2014 pour sortir plus tard le premier The Black Queen, vraiment.

Enfin, quels sont les artistes au catalogue de ton label Federal Prisoner avec ton ami et associé Jesse Draxler ? Quels sont les autres projets de sorties dessus hormis ton album solo ?
Eh bien, avec Jesse Draxler, on sort là un disque de compilation de musique Noise intitulé Reigning cement. Il a d’ailleurs fait l’artwork. On retrouve dedans diverses collaborations de Jesse avec des artistes comme Chelsea Wolfe, Vowws, mais aussi Dylan Walker, le chanteur du groupe de Grindcore Full Of Hell. Mais là, étant donné le travail monstre fait sur sur mon album, on donne la priorité à Child Solderier : Creator of God. Sinon on envisage de ressortir le premier LP de The Black Queen.

CHRONIQUE ALBUM

GREG PUCIATO
Child Soldier : Creator Of God
Electro/Punk/Metal
Federal Prisoner

On se doutait bien que l’ex-chanteur de The DEP ne resterait pas longtemps sans rien faire après le split du groupe en 2017. Ses expérimentations Synthwave avec The Black Queen sur son label Federal Prisoner ont visiblement nourri l’homme multi-instrumentiste et multi-facettes qui s’assume totalement ici. Ce Child Soldier : Creator of God a vu le jour alors que l’ex-frontman de The DEP avait quelques mois à tuer entre deux collaborations (l’intro à la guitare acoustique « Heavy Of Stone » rappelant ses deux concerts au côté de Jerry Cantrell (Alice In Chains) à Los Angeles en déc. 2019). Ce premier disque en solo se veut donc à l’image de ses goûts et diverses influences, vous l’aurez compris. Capable de balades mais aussi de morceaux Electro/Pop (« Down When I’m Not ») ou Electro/Punk (ses deux albums avec The Black Queen a laissé des traces), voire carrément Indus à la Marilyn Manson (« Roach Hiss »), tout en revenant flirter avec le Hardcore que l’on aime, bien heavy ou noisy (« Do You Need Me To Remind You ? » et les percussions pachydermiques de Chris Hornbrook (Poison The Well)), la versatilité de Greg Puciato impressionne souvent par son intimité touchante (« You Know I Do ») alors qu’on connaissait davantage ses performances scéniques agitées sur la scène Hardcore/Metal. Très personnel et en lien avec sa jeunesse (l’artwork est tiré d’une photo de lui gamin toute noircie), totalement délibéré et assumé (« A Pair Of Questions » nous renvoyant à son amour pour Tears For Fears), Child Soldier : Creator of God contient de nombreuses choses, trop et parfois disparates, façon patchwork, mais avec une vraie sensibilité à fleur de peau. [Seigneur Fred]

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