PEARL JAM : Gigaton

PEARL JAM
Gigaton
Power pop rock
Island / Def Jam Recordings / Universal
★★★★★

Ce n’était certes pas le but au départ, mais Pearl Jam va en aider plus d’un à surmonter le confinement grâce à ce onzième album aussi déconcertant que captivant. Balancé en éclaireur, le très funky « Dance Of The Clairvoyants » avait déjà bien brouillé les cartes, tout comme la punk pop de « Superblood Wolfmoon », deuxième titre dévoilé en février. Mais ceux qui en avaient déjà tiré quelques conclusions en seront pour leurs frais, Gigaton se révélant dès la première approche comme l’album le plus varié et téméraire du quintette. La seule chose qui pouvait mettre la puce à l’oreille était le choix risqué de remplacer le fidèle Brendan O’Brien par un inconnu au bataillon… Enfin, quand on dit inconnu, c’est quand on est allergique au jazz, puisque, avant d’être producteur, Josh Evans est un trompettiste qui bénéficie déjà d’une solide réputation dans le milieu. Mais il a plusieurs cordes à son arc. On le retrouvait, en effet, aussi bien à la guitare sur Lightning Bolt (le précédent PJ), que sur le côté de scène en tournée, en tant que guitar tech de Pearl Jam depuis 2008. Sans compter des collaborations avec le guitariste Mike McCready et le bassiste Jeff Ament, son travail de producteur ou d’ingé son l’avait amené à officier pour Chris Cornell, Soundgarden, Biffy Clyro, ainsi que l’une des idoles du groupe, Ace Frehley (Kiss)… Plus récemment, il s’était retrouvé derrière la console avec Pearl Jam pour sa reprise du « Again Today » de leur super copine Brandi Carlile (sur son album caritatif Cover Stories), ainsi que sur le single décapant « Can’t Deny Me » (2018), finalement écarté de Gigaton. Tout ça pour dire qu’il y a du changement chez « confiture de perle ». Et pas qu’un peu ! Sans aller jusqu’à dire que les musiciens se la coulaient douce, ils laissaient l’impression d’être devenus bien sages, pour ne pas dire dociles, laissant Eddie Vedder s’occuper du four et du moulin, comme du service après-vente. D’accord, ils ont suivi ce dernier sur certaines lubies qui n’appartenaient qu’à lui, avec en tête Split Enz qui a fortement imprimé une bonne moitié de cet album. Toutefois, à l’instar des deux morceaux précités, mais aussi de « Never Destination », « Alright » et « Retrograde », Pearl Jam se révèle étonnamment à son aise dans un registre power pop très musclée mais, surtout, très mélodique et avant-gardiste. Donc dans la veine de ce que produisait le génial groupe néo-zélandais au début des années 80, ou de ce qu’a ensuite proposé Neil Finn avec son Crowded House au succès colossal (après la fin de Split Enz). PJ ou Vedder ont régulièrement repris des titres des deux groupes sur scène, souvent en compagnie de leurs membres, les frères Finn en tête, ou leur progéniture (dont un Liam qui a ouvert maintes fois pour Pearl Jam). Sur ce point précis, Gigaton ne surprendra donc guère ceux qui ont cliqué à 39 813 reprises sur la compilation YouTube Eddie Vedder sings Neil & Tim Finn. Les autres, en revanche, tomberont des nues au moins autant qu’avec un « River Cross » qui semble emprunté à Peter Gabriel (à ce stade, il s’agit presque d’une respectueuse imitation), le curieux et pesant mélange U2 / Led Zep sur le tubesque « Quick Escape », le très acoustique « Come Then Goes » qui évoque à la fois Dylan et Cornell, ou même « Seven O’Clock » où l’on croirait entendre Springsteen qui se serait invité sans prévenir chez Roxy Music… Mais ce qui risque de troubler plus encore les habitués ce seront les arpèges et boucles sur un beat subtilement jazzy du lancinant « Buckle Up ». Là, seuls ceux qui ont du Josh Evans dans leurs playlists comprendront. Pour se retrouver en terrain connu, il ne restera guère que la balade folk rock, « Come Then Goes », le punk light « Take The Long Way », au refrain redoutablement addictif, ou le rock pied au plancher de « Who Ever Said », ce cocktail Neil Young / Who n’étant pas une nouveauté pour Pearl Jam… Les cinq de Seattle ont rempli le caddie à ras bord, ce qui vous aidera à tenir un bout de temps. Espérons-le jusqu’à ce qu’on puisse voir Pearl Jam à l’air libre cet été.

[Jean-Pierre Sabouret]

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