TOTER FISCH : À l’abordage !

Il était une fois en Touraine l’histoire de cinq marins d’eau douce fans de Metal et de piraterie. Après quelques escarmouches ici et là dans leur fief natal puis dans l’Hexagone, et la publication parallèlement de deux EP en 2015 et 2016, nos jeunes flibustiers tourangeaux ont sorti cette année l’artillerie lourde sur leur premier album Yemaya en proposant un véritable Folk Metal puissant et sombre, mais qui vous fera assurément danser en concert. Véritable coup de cœur au festival Motocultor l’été dernier, nous avons donc voulu faire plus ample connaissance avec Toter Fisch. Alors, prêts moussaillons ? Hissez la grand-voile, mille milliards de mille sabords ![Entretien avec Rémy Robinot (basse) par Seigneur Fred]

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Peux-tu tout d’abord nous raconter l’histoire du groupe ? Est-ce parti d’un délire ou d’une passion commune entre potes pour le Metal et le film Pirates des Caraïbes par exemple ? Quelle est la genèse de Toter Fisch ?
C’est une longue histoire. Sur Bandcamp sur Internet, cela date de 2010, mais en fait, c’est une vieille histoire qui remonte à 2009. Le chanteur de Toter Fisch, Romain Nobileau, est le compositeur principal du groupe et c’est lui qui en est à l’origine. On se connaît depuis le lycée donc ça fait un bon nombre d’années que l’on est pote, et il a toujours composé tout un tas de choses de son côté essentiellement avec le logiciel Guitar Pro (NDRL : logiciel de composition) : du Folk, du Death Metal, du Black, de l’Indus, de l’Electro, etc. mais ça restait sur son ordinateur juste pour son plaisir personnel. Et il aimait toutefois partager ce qu’il faisait et m’envoyait des brides de chansons, des parties sur Guitar Pro juste pour me demander mes impressions et me faire écouter. De mon côté, à l’époque, j’avais un petit groupe de Metal à Tours avec des copains, mais rien de sérieux… Et vers 2009 donc, un jour Romain m’a envoyé trois ou quatre compos de Guitar Pro d’un coup dans un délire « Pirates », et j’ai trouvé ça vraiment excellent ! On s’est alors dit que ça méritait peut-être de faire l’objet d’un projet sérieux, d’en faire carrément un groupe et de sortir ça de sa chambre. À noter qu’en plus, à l’époque, Romain ne connaissait même pas encore Alestorm, ses influences se situant alors plutôt du côté de Finntroll par exemple…

C’est vrai que dans vos claviers il y a de grandes similitudes avec Finntroll, or on vous a tout de suite comparé à Alestorm et vite catalogué dans le même genre « Pirate Metal » ce qui est un peu faux musicalement..?
L’influence principale de Toter Fisch est justement clairement à rattacher à Finntroll, bien plus qu’à Alestorm à qui on a tendance à nous comparer systématiquement. Certes, l’univers et le délire « Pirate Metal » sont proches d’Alestorm, mais musicalement, on est différents, je pense, il n’y a pas grand-chose à voir. Les Écossais d’Alestorm sont eux plus joyeux, dans une approche plus typée « Power Metal » alors que nous sommes bien plus sombres et avons un son plus lourd. On ne voudrait donc pas être comparé à ce groupe, car on est différent musicalement parlant. On revendique vraiment ceci. Et il n’y a aucune volonté non plus de la part de notre chanteur ou nous-mêmes de suivre à l’origine Alestorm dans leur démarche ou cette mode

De toute façon, en France, les histoires de marins et de pirates dans la musique Rock, ce n’est pas nouveau, car cela existait déjà dans le répertoire musical national, je pense là aux Soldats Louis et leur célèbre chanson dont le refrain disait : « Du rhum, des femmes et de la bière, non de Dieu » !
Oui, c’est vrai ! (rires) Mais pas en Metal. De toute manière, on n’a pas fini d’être comparé à Alestorm pour le sujet de pirates, etc., forcément… La comparaison, je trouve, est un peu facile cependant. Après, on ne dit pas que l’on n’aime pas ce que fait Alestorm, on ne renie pas cela non plus. Il y a d’ailleurs quelques grands fans parmi nous dans le groupe…

Au niveau des paroles et du concept justement du groupe, comment c’est venu ce thème des pirates ? Il y a un côté vaudou sur ce premier album Yemaya qui rappelle d’autant plus un épisode de Pirates des Caraïbes…
Pour t’expliquer cela, je dois finir l’histoire du groupe… (rires) À l’époque, il n’y avait donc que Romain, le chanteur et moi-même, alors à la guitare, dans le projet. Cela a beaucoup traîné… J’ai rencontré par la suite Jérémy, l’accordéoniste actuel, en 2010 durant un concert local des Caverneux à Tours, groupe qui existait depuis un bon nombre d’années dans le coin. Il jouait en fait aussi dans un groupe de Black Metal nommé Hécate. Mais cela est resté encore en suspens entre 2010 et 2013 car nous n’étions pas au complet, et puis je suis parti vivre un an aux Etats-Unis. On ne trouvait alors pas de batteur, éventuellement, on pouvait avoir un bassiste ou un guitariste, et moi alors je passerai à la basse. Et puis à mon retour, on a fait connaissance avec David du groupe de Death/Black Pagan Drakwald qui nous a dégoté notre batteur actuel, Pierre, et voilà. Le groupe a vraiment démarré au complet en 2013. Après cette digression sur la création du groupe, et bien en fait, c’est pour t’expliquer que c’est Jérémy, notre accordéoniste, qui écrit la plupart des paroles de Toter Fisch. C’est un gros fan des films Pirates des Caraïbes au cinéma, et notre album est, en effet, inspiré par les trois premiers épisodes de la saga, mais ces films ont été eux-mêmes aussi inspirés par diverses histoires existantes et mythologies sur les pirates, des mythes indigènes, etc. Jérémy a donc puisé dans les livres qu’il a lus, son imagination et l’univers de Pirates des Caraïbes pour écrire une histoire, cette histoire sur Yemaya.

Yemaya est une divinité maya, c’est bien cela ? Elle correspond à la divinité aussi appelée Iemanja ?
C’est plus ou moins la même divinité, oui, d’après les recherches que l’on a pu en faire. À la base, c’est une divinité africaine vaudou qui s’appelait Mami Wata mais avec la traite des esclaves et les échanges durant le triangle d’or, ce culte s’est exporté en Amérique et donc aussi en mer caribéenne. Yemaya est le nom donné à cette divinité afro-américaine dans cette région où s’établirent bon nombre de pirates dans le passé.

Il y a d’ailleurs une chanteuse qui interprète à merveille ce personnage sur la chanson « Mami Wata », qui est-ce ?
Il s’agit de Jen Nyx, la chanteuse du groupe bordelais Volker, le projet parallèle Black’N Roll de certains membres d’Otargos (NDLR : groupe de Black/Death Metal). Ce qu’ils font dépote bien et on voulait justement que la voix féminine donnée à Mami Wata soit bien vilaine et agressive comme une sorcière sur ce titre.

Un peu comme sur Abrahadabra de Dimmu Borgir où figurait la chanteuse norvégienne du groupe Djerv ?
Oui, exactement, on avait cette référence en tête et on a pensé à Volker. On a la chance de la connaître indirectement, donc on l’a invité sur cette chanson, elle a accepté. Et le résultat est exactement ce que l’on voulait.

Sinon, comment expliques-tu, à ton niveau, le phénomène et cet engouement actuel des gens pour les pirates en général et donc aussi pour la musique comme la vôtre, celle d’Alestorm, etc. ?
Je ne sais pas trop à vrai dire, mais je pense que cela provient de l’impact qu’a eu dernièrement le film Pirates des Caraïbes dont le premier épisode est paru maintenant il y a une quinzaine d’années, en 2003 chez Disney. Ce fut un phénomène énorme, mine de rien, même si ça commence à dater, mais j’avais trouvé ça vraiment génial à l’époque comme film. Après, avec tous les épisodes, je m’en suis un peu lassé par la suite…

Il y avait un film franco-américain déjà paru qui s’appelait Pirates de Roman Polanski sorti dans les années 80, le connais-tu ? Avec le personnage de Grenouille, etc. Il y avait un vrai bateau de pirates qui avait servi pour le tournage qui était alors à quai en Méditerranée à Cannes ou St Raphaël que j’avais visité étant gamin… Certes, c’était moins grandiloquent que Pirates de Caraïbes, mais c’était un bon film à l’époque…
Ah non, je ne le connais pas. Ça devait peut-être un peu moins grandiose et impressionnant quand même… (rires)

Pourquoi un nom allemand « Toter Fisch » pour un groupe paradoxalement français et centré sur la piraterie justement ?
Cela signifie « Poisson Mort » en fait, et Romain, le chanteur, quand il composait seul dans son coin à l’époque, avant même donc de démarrer ce groupe de Metal, il avait déjà un projet solo Electro/Metal qu’il avait appelé chez lui Toter Fisch. Le nom était allemand, car il n’avait pas fait anglais en première langue au lycée, mais allemand donc voilà, tout simplement. Et par ce terme, il y avait un petit côté sombre, anti-catholique… (rires) Il a même sorti quelques disques sur CD en autoproduction. Alors quand on a dû choisir un nom de groupe, tout de suite, on n’a pas cherché plus loin, on a tout de suite pris le nom de son ancien projet, car pour un groupe de Pirate Metal un peu bourrin, « Poisson Mort », ça collait super bien ! C’est vrai que ça fait un peu bizarre en allemand, mais ça nous plaît bien et on l’a gardé.

À propos du logo de Toter Fisch et de l’artwork de ce premier album Yemaya, tu as évoqué dignement et avec délicatesse la mémoire d’un certain Ludovic sur scène lorsque l’on vous a découvert au festival Motocultor l’été dernier à St Nolff (56), peux-tu nous en dire plus ? C’est lui qui avait réalisé tous vos artworks, c’est ça ? Tu n’as pas plombé l’ambiance du festival et as fait ça bien…
Merci. J’ai eu que des avis positifs à ce sujet, j’avais peur, ce n’était pas évident surtout que je ne prends pas souvent la parole en public. Et l’ambiance était trop chaude pour qu’elle refroidisse (rires) après ce petit message personnel. Il s’agissait en fait de notre ami Ludovic qui a réalisé notre logo dès notre premier EP Blood, Rum & Piracy. En fait, c’était surtout un ami à moi et un collègue, puisqu’on travaillait ensemble depuis quatre ans. Il est décédé en juin dernier, il y a quelques mois maintenant… Et là, je te parle d’ailleurs à côté de son bureau qui est vide… (NDLR : ton plus grave) On conserve donc son logo qu’il a conçu dès le départ. Pour l’artwork en général, sinon (hors logo), c’est Clément Nobileau, le frère du chanteur Romain, qui nous a conçu une partie des visuels et pochettes : sur notre second EP acoustique Bottoms Up Treasure et donc sur le nouvel album, notamment l’intérieur du livret. Clément a aussi fait les artworks des T-shirts. Sur le premier EP Metal, Blood, Rum & Piracy, ce fut par contre Valentin Lebref, un copain des Beaux-Arts de Tours, qui réalisé la pochette de devant, le reste, c’est Clément.

D’ailleurs, quels retours avez-vous eu de votre participation au Motocultor 2017 et quels souvenirs en gardes-tu, car selon moi, vous avez véritablement été l’un des temps forts du festival et la principale révélation cette année ? Etait-ce la première fois que vous jouiez devant autant de monde, car vous avez reçu un accueil formidable ?
Ce fut un truc de fou ! Jouer devant une scène aussi grande, au niveau de la taille, oui, car on avait déjà joué sur une scène à peu près équivalente au Cernunnos Pagan Festival, mais au niveau du public, au Cernunnos, il y avait seulement entre six cent et huit cent personnes, alors que là, au Motocultor, il y avait près de trois mille personnes je crois. Et ce fut donc notre plus grosse affluence en termes de public. Ce fut également notre premier concert open air. En plus, il n’y avait pas énormément de Folk ou de groupe festival à la programmation cette année, excepté bien sûr Ensiferum la veille au soir (NLDR : on entendit à peine l’accordéon et pour les parties Folk tout est samplé), et Eluveitie le lendemain. Il y avait aussi Primordial dans un autre genre plus Black Pagan. Primordial est un groupe que j’ai découvert il y a quelques temps en concert à Lyon et que j’adore, j’avais pris alors une belle claque, mais là c’était une prestation un peu terne, mais faut dire que l’on était tous un peu fatigués… (rires) En général, le charisme du chanteur (NLDR : Alan A. Nemtheanga) impressionne, là il était peut-être un peu moins habité, mais j’aime beaucoup de toute façon ce groupe irlandais.

Et comment ça s’est passé pour vous jouer Motocultor ?
Pour le Motocultor, on n’a même pas joué avant. C’était uniquement des tremplins en ligne auxquels on inscrivait le groupe et les gens votaient librement sur Facebook. Chaque personne votait une fois. Il y a eu beaucoup de votes, de n’importe qui, pas forcément des gens qui écoutent spécialement notre musique à la base. Et on a récolté beaucoup de voix, le but étant d’avoir le plus de clics. Au départ, il y avait je crois deux cent cinquante groupes pour le Motocultor, après quinze groupes étaient retenus à l’issue des votes, et leur jury en sélectionnait alors trois seulement. Les autres étaient Point Mort et Acod.

Alors à quand un concert au Hellfest à présent car vous avez véritablement le potentiel ?
Ah et bien, pourquoi pas ? Il faudrait que l’on démarche le festival pour y participer. Après, il y a les tremplins, etc.

Sur scène, votre show semble bien rodé et vous possédez toute la panoplie de pirates avec de beaux costumes et des décors et accessoires bien trouvés (barre de navigation, pied de micro en squelette, chapeaux, etc.). Je présume que tout ceci a été soigneusement pensé et travaillé à l’avance pour rendre vos concerts encore plus vivants, non ?
Oui, on essaie de travailler tout cela, car on a un univers qui est celui des pirates, or c’est important que les gens embarquent dans notre univers, il y a donc aussi une accroche visuelle en plus de la musique. D’ailleurs, cela commence à nous poser problème, car on commence à accumuler tout un tas d’accessoires qui prennent de plus en plus de place dans notre van et maintenant, on est obligé de louper un plus grand véhicule utilitaire comme dernièrement lors d’un concert à Strasbourg. (rires)

Faites-vous des concerts acoustiques aussi par exemple avec les instruments folkloriques (accordéon, guitare classique, etc.) comme sur votre second EP ?
On avait joué dans un petit bar à Tours pour s’échauffer avant le festival cet été, mais c’était en électrique devant une centaine de personnes. Cela nous arrive parfois de jouer en acoustique dans des pubs, des bars comme le Buck Mulligan’s à Tours. Mais on peut tout aussi bien jouer en électrique. On va jouer à Clisson dans une ancienne chapelle, on va jouer à Reims, Lille, Angers, etc.

L’accordéon est revenu à la mode ces dernières années, on dirait dans la musique Pop ou Metal : Claudio Capeo, Ensiferum, Korpiklaani, etc. Quelle place accordez-vous à cet instrument dans votre musique et comment l’intégrez-vous dans vos compositions Metal car ce ne doit pas être évident tout de même ?
Parfois, les compositions partent d’un air d’accordéon en fait. Alors sinon, de manière générale, notre manière de composer revient à Romain, notre capitaine, qui travaille sur Guitar Pro. On partage sur Drop Box sur Internet, il met ses débuts de compositions en ligne, on donne notre avis, on se lance dessus, chacun rajoute ses parties, etc. Romain ne sait pourtant jouer d’aucun instrument, mais il est fou, car il est totalement autodidacte et n’a à la base aucune notion de solfège, il travaille à l’oreille en fait grâce à ce logiciel. Après tout vient ensemble, tous les instruments sont ajoutés par nous tous, mais comme je te disais, des fois, tout part d’une mélodie d’accordéon sur laquelle on va coller les autres instruments. Sur scène, il y a aussi des claviers programmés et divers samples qui viennent grossir notre son car on ne les joue pas en live. Du coup, les parties Metal peuvent paraître assez brutes notamment au niveau des riffs.


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Du coup, ça veut dire qu’il n’est pas nécessaire d’être musicien pour composer et jouer du Metal alors ?!
Avec les nouvelles technologies, pas nécessairement en effet, mais en tout cas, à propos de notre capitaine et chanteur Romain, il faut au moins un certain talent ! (rires) Il n’a peut-être pas de notion de solfège, mais il arrive à composer des choses justes d’un point de vue théorique et qui sonnent bien. Après, dans le groupe, il y en a parmi nous qui connaissent le solfège et ont les bases en tant que musicien. Personnellement, moi non plus, j’ai appris durant quatre ans la guitare avec des cours, principalement au lycée et une année quand j’étais à la faculté, mis à part ça, je travaille chez moi sur mon instrument (basse) et notamment aussi sur Guitar Pro car c’est bien pratique pour apprendre.

Avez-vous à présent des propositions de label depuis la sortie cette année de votre premier album et vos concerts qui font un peu le buzz tout de même, et envisagez-vous de signer sur un label ou bien préférez-vous rester indépendants et voguer librement ?
Je ne sais pas si on peut parler de buzz, mais on avait démarché des labels français avant la sortie de ce premier album Yemaya, on n’avait pas eu beaucoup de réponses. Par contre, on n’a pas contacté encore les gros labels étrangers. Il faudrait peut-être à présent que l’on relance tout ça, car l’album est sorti, mais cela prend du temps, car à côté on travaille ou étudie encore. On est un peu limité dans nos capacités actuelles et les emplois du temps de chacun. Je pense que nous avons atteint peut-être nos limites pour tout gérer nous-mêmes, mais ça serait chouette, oui, si on pouvait avoir une proposition intéressante et signer sur un gros label, c’est ce que l’on cherche à faire.


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