…AND OCEANS
Retour aux sources

Les Finlandais ont refait surface au printemps avec enfin un nouvel album studio, dix-huit ans après leurs désespérantes expérimentations électro/indus de Cypher en 2002 ! Entre temps, le groupe splitta, certains membres continuèrent sous le nom d’Havoc Unit mais ça c’est de l’histoire ancienne. Reformé en 2017, le groupe de Black Metal symphonique, plutôt avant-gardiste pour l’époque, nous offre Cosmic World Mother, un cinquième opus nous renvoyant tout droit en 1998 et à l’album The Dynamic Gallery of Thoughts pour les nostalgiques que nous sommes. [Entretien intégral avec Timo Kontio (guitare), Mathias Lillmåns (chant), Antti Simonen (claviers) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Pour commencer, peut-on faire un point sur l’activité d’…And Oceans après votre split de 2005 ? Qu’avez-vous fait pendant toutes ces années après la sortie de l’album de Cypher et pourquoi le groupe s’est-il séparé ? Havoc Unit était-il la suite ou une parenthèse expérimentale d’…And Oceans vers des sonorités plus électroniques ? 
Timo : Après Cypher, nous avions prévu une tournée, etc., mais il s’est passé quelque chose. Nous avons eu quelques concerts ici en Finlande. On a également composé du nouveau matériel, mais pour une raison quelconque, ce n’était pas si facile de trouver de nouvelles idées. Peut-être que le style a également changé encore plus et à un moment donné, nous avons décidé de continuer sous un nom différent : Havoc Unit. Tous les autres membres sont également partis sauf moi, le chanteur et le batteur. C’était peut-être encore plus expérimental que ce dernier… Et les albums d’Oceans. C’était totalement un nouveau groupe en fait, mais ça n’a pas duré. On a pas mal répété de temps pour des concerts live, mais comme nous n’avions pas de line-up complet, ce fut une impasse… Pour notre séparation, hé bien, c’est peut-être une somme de plusieurs choses. Difficile de trouver de nouvelles chansons, pas assez de concerts intéressants pour garder le groupe, etc. Tout cela nous a conduits à une sorte de mode inactif qui a entraîné l’arrêt de l’accord avec le label Century Media. Peut-être était-ce inévitable, alors pourquoi s’opposer à cela. Tout cela doit venir naturellement, sinon tu n’y arrives pas. Si tu n’aimes pas déjà ce que tu fais, alors ça ne sert à rien. C’est sûr qu’on ne fait pas ça pour l’argent ! (rires)

En résumé, …And Oceans est de retour depuis 2017. Mais qu’est-ce qui a stimulé la réactivation du groupe dernièrement pour arriver enfin à ce cinquième album studio ?
Timo : Nous avions eu de nouvelles idées pour revenir plusieurs fois déjà. Mais ces idées naissaient en général sous l’emprise de l’alcool en écoutant nos vieux morceaux. Rien ne s’est passé jusqu’à fin 2017 lorsque nous avons eu notre première répétition ensemble. C’était génial de jouer ces vieux morceaux. On a fait une courte vidéo de cet événement et l’avons mise en ligne. Très vite, il y eut des news à notre sujet dans l’un des plus grands magazines de Métal ici en Finlande. Puis des rumeurs ont commencé à se répandre comme quoi il se passait quelque chose chez …And Oceans. Quelques temps après on a reçu des offres de concerts qui ont été conclues un peu plus tard. Nous devions revenir et faire de la nouvelle musique.

L’an passé, vous avez sorti un EP éponyme en édition très limitée avec 2 titres live chez Necrogod Rec. C’était un test pour mesurer votre retour sur la scène Black Metal avant de préparer un tout nouvel album studio ?
Timo : Non, rien de ça. Je venais juste d’entendre qu’il y avait cette usine de pressage de disques près de chez moi où ils font de très petits tirages. Tout y est fait manuellement d’où la limitation des copies. Nous avons enregistré tout le concert du festival Howls Of Winter en Estonie en 2019, en format audio et vidéo. Alors on a pensé qu’il serait bien de sortir des extraits de ce nouveau show et de les vendre également exclusivement au Steelfest Open Air Festival. Cette version a été vendue au festival, donc il n’y a pas eu d’autre exemplaire à vendre.

Votre tant attendu nouvel album, Cosmic World Mother, débarque à présent. Vous auriez pu y rajouter les 2 titres live de votre EP éponyme paru l’an dernier : « Trollfan » et « Kärsimyksien Vaaleat Kädet ». Pourquoi n’y figurent-ils pas en bonus par exemple ? Cela aurait été bien pour les fans qui n’ont pas pu se procurer cet EP ?
Timo : Eh bien, ce sont des morceaux live et les deux sont à l’origine de notre premier album studio. Alors peut-être n’y avait-il pas trop de sens de les sortir sur ce nouvel album. Peut-être que dans une version spéciale en tant que bonus, oui, mais peut-être pas en tant que tel non plus, car nous avons en fait déjà deux chansons supplémentaires de nos sessions de studio qui pourraient être utilisées comme bonus si besoin. Ils pourraient même être publiés sur une version distincte, on verra… Je pense que ces deux morceaux sont disponibles sur YouTube cependant. « Trollfan » l’est en tout cas sur notre chaîne YouTube.

Cosmic World Mother est-il un album conceptuel sur la cosmologie et la Terre-Mère un peu comme Vintersorg le chantait sur ses anciens albums plus progressifs (Cosmic Genesis, Visions From The Spiral Generator…) ?
Mathias : Oui, c’est un concept album. Je ne veux pas trop gâcher la surprise et laisse une part d’imagination à ce sujet, mais tout l’album est basé sur l’énergie. Comment l’énergie est éternelle, elle nous entoure à travers les éléments, tu ne peux pas perdre cette énergie, elle change simplement de forme, passant du corps à l’âme… J’explore ici ce que cela signifie pour nous, les humains et l’humanité en général.

En parlant d’énergie, ce cinquième album est musicalement très direct justement, « in your face » comme on dit, rappelant l’énergie de vos débuts entre 1995 et 2000… La durée des chansons ne dépasse guère les cinq minutes en général sur Cosmic World Mother, les côtés prog’ et électro ayant disparu. Vous vouliez revenir à un Black Metal plus direct, rapide, et brutal ?
Timo : Pour être honnête, oui. Ce fut intentionnel de revenir au son des deux premiers disques. Enfin au départ bien sûr, ce qui signifiait que le résultat serait forcément différent vingt ans après, mais cette fois, ça tend clairement vers nos deux premiers albums. Bien que l’on puisse également entendre clairement divers éléments issus de nos différentes expérimentations et évolutions au cours de toutes ces années. Cela sera peut-être totalement différent sur le disque suivant, qui sait ?

À la batterie, Kauko Kuusisalo délivre une performance incroyable derrière son kit. Les guitares sont fortes et incisives, et la voix très colérique de votre nouveau chanteur Mathias oscille entre screams Black et growls Death. Tous les instruments sonnent parfaitement sur Cosmic World Mother … Où avez-vous enregistré ce nouvel album ? Dans les célèbres studios Tico-Tico en Finlande, comme à l’époque de The Dynamic Gallery of Thoughts dans les années 90 peut-être? Ou vous avez construit depuis votre home studio ?
Timo : Il a été enregistré à plusieurs endroits différents. C’était pratique de le faire puisque nous vivons si loin les uns des autres en Finlande, et que nous ne voulions pas passer des semaines dans un endroit éloigné de chez nous ni perdre trop de temps, etc. Bien sûr, cela aurait été bien, mais pas si pratique dans ce cas. Bref, toutes les guitares ont été enregistrées au Wolfthrone Studio près de chez nous, les guitaristes. La batterie et la basse ont été enregistrées à Vantaa avec l’aide du Soundspiral Audio et de leur équipement. Les voix également. Les claviers ont été captés à la chez notre claviériste. De nos jours, ce type d’opération est assez facile à exécuter.
Mathias : J’étais là en tant que producteur lorsque l’album a été mixé et je dois dire que ce fut t un vrai casse-tête de faire fonctionner les quatre lieux différents et tout réunir et éditer, mais nous avons réussi car tout a été enregistré de manière professionnelle de bout en bout. On est vraiment content du résultat final !

Parlons des claviers maintenant, principaux atouts d’…And Oceans depuis le départ. J’ai l’impression que vous les utilisez maintenant avec plus de parcimonie les parties sont plus subtiles, par exemple sur la chanson-titre « Cosmic World Mother », au début, pendant et à la fin. Avez-vous changé peut-être votre opinion sur la manière d’utiliser et jouer vos parties de claviers dans votre musique en atténuant ce côté progressif et symphonique même si on reconnaît immédiatement le son d’…And Oceans sur Cosmic World Mother en 2020 et ça reste votre style ?
Timo : À mon avis, nous les utilisons plus ou moins de la même manière qu’auparavant. Ils ne sont tout simplement pas si élevés et présents dans le mélange. Bien sûr, tu ne vas pas entendre ce truc expérimental comme sur nos derniers albums. Peut-être une note ici ou là ; quelques traces, voilà tout.
Mathias : C’était un choix d’être plus concis et de les diluer en fait avec les guitares. Sur les albums Dynamic Gallery Of Thoughts et The Symmetry (…), les guitares sont très loin en arrière-plan, on les entend à peine si tu te souviens bien dans le mixage. On voulait que les guitares jouent un rôle un peu plus important dans ce mix.
Antti : Dans l’ensemble, les claviers de cet album sont conçus pour supporter les chansons et être l’un des éléments symphoniques classiques du Black Metal de ce genre, remis dans un contexte actuel. Une touche droite et majestueuse avec une électronique minimale évoque simplement les paysages sonores que nous voulons créer sur cet album. C’est peut-être quelque chose puisé du passé et en même temps une approche pas encore entendue dans notre son. On est entre les rayons de vitesse pure et la brutalité… Et dans ce flot rapide, les claviers d’…And Oceans en 2020 naviguent à travers ces nouvelles chansons jusqu’à ce que l’album touche à sa fin.

Quand vous repensez au passé et au début de votre carrière, ne pensez-vous pas que vous étiez peut-être un peu trop avant-gardiste en 1995/2000 sur la scène Black Metal avec vos deux premiers albums studio finalement ?
Timo : Je ne pense pas. Peut-être avec les derniers albums plus expérimentaux (électro/indus), mais pas avec nos deux premiers. Je veux dire par là que ce genre de choses était déjà assez bien diffusé à l’époque et même avant avec d’autres groupes. Peut-être que nous avons fait quelque chose d’unique à l’époque, mais nous ne pensions certainement pas cela à l’époque ! (rires)
Mathias : Personnellement, en tant que nouveau chanteur dans le groupe, c’est ça qui m’a toujours poussé à écouter …And Oceans. Leurs albums se démarquaient des autres à cette époque.

Avec le temps, depuis votre formation en 1995, avez-vous noté une évolution de la scène Black Metal scandinave et qu’en pensez-vous maintenant en 2020 car le Black Metal symphonique n’est plus vraiment à la mode ?
Timo : « Evolution » de sorte que presque tous les grands groupes de cette époque ont cessé de jouer malheureusement ou ont changé de style pour autre chose, oui. (rires) En fait, la plupart d’entre eux ont déjà changé à la fin des années 90. Il n’y a plus autant de groupes aujourd’hui qui ont ce son de l’époque. Certains vieux groupes ont fait un retour comme nous, Odium par exemple, mais seulement quelques concerts, pas de nouvelle musique du moins. Mörk Gryning revient avec un nouvel album, c’est bien sûr génial ! Être à la mode ou pas, peu importe, mais c’est sûr qu’il y a une demande pour ce genre musical et là nous tombons très bien avec ce nouvel album. (sourires)

Enfin quels sont vos projets pour 2020/21 ? Êtes-vous en mesure de partir en tournée et de jouer live en Europe et à travers le monde lorsque cette épidémie mondiale prendra fin ? On est impatient de vous voir en France !
Timo : Nous avions déjà prévu pas mal de concerts dans des clubs et des festivals. A priori, presque tous sont déjà annulés à cause du corona virus et aucune idée s’ils vont être remplacés. Nous avions également des projets de tournée et au moins une a été enterrée à cause du virus. Le problème est que les tournées et les festivals qui étaient prévus ce printemps, cet été et cet automne sont reportés et ils se remplissent très bien déjà pour l’an prochain, mais il est vraiment difficile de réserver quoi que ce soit entre les deux. Le temps nous le dira. Nous attendons assurément la possibilité de sortir et de jouer à nouveau comme si c’était en 1999 ! Et la France sera à coup sûr l’une des cibles, ne t’inquiète pas ! Nous avons toujours eu beaucoup de succès chez vous là-bas. (sourires)

CHRONIQUE ALBUM

…AND OCEANS
Cosmic World Mother
Black Metal symphonique
Season Of Mist
★★★★☆

Oubliés le split de 2005 et le side-project indus Havoc Unit où certains membres se perdirent entre temps, le sextet finnois de Black symphonique recouvre ici pleinement l’inspiration, accueillant au passage Mathias Lillmåns (Chtonian, Degenerate…) extrêmement convaincant dans ses screams et growls. Cosmic World Mother sonne d’ailleurs comme un des disques les plus violents d’…And Oceans. Les éternelles nappes de claviers figurent à l’appel, plus subtiles cependant, au profit de guitares plus mordantes. Originaire de la partie suédophone à l’ouest de la Finlande, pas étonnant que l’on y retrouve aussi la brutalité de leurs voisins comme Marduk ou Dark Funeral avec toujours là encore cette magnifique touche mélodique signée …And Oceans qui nous manquait tant. [Seigneur Fred]

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