COLDCELL
The evil that men do

On le sait, la Suisse a toujours engendré des formations de métal de qualité : Hellhammer/Celtic Frost/Triptykon, Coroner, Samael… Aujourd’hui, nous faisons connaissance avec ColdCell, sextet originaire de Bâle (Suisse alémanique) et déjà auteur de trois albums remarqués sur la scène dark/black metal. Leur quatrième opus, The Greater Evil, sombre et totalement habité, nous a littéralement plongés dans les abîmes de notre monde décadent. [Entretien avec S (chant) et W4 (guitare) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Nous ne vous connaissons pas très bien ColdCell alors que vous êtes voisins de la France et vivez en Suisse (même si vous vivez dans la partie alémanique à Bâle) et avez déjà sorti trois albums précédemment. Alors, pourriez-vous résumer l’histoire du groupe depuis sa création en 2012 jusqu’à maintenant avec la publication de ce nouvel album studio intitulé The Greater Evil, s’il vous plaît ?
W4 : ColdCell est né des cendres d’Atritas, un groupe de black metal plus orienté symphonique en Suisse. Malgré un changement de line-up, le premier album de ColdCell, Generation Abomination, contient encore de nombreux éléments de ce précédent projet. Lowlife fut ensuite une coupure plus nette vers la nouvelle direction du groupe, c’est-à-dire vers un black metal nihiliste plus dépouillé, à la fois en termes de son et d’écriture de chansons. Je me prends encore la tête parfois sur un certain nombre de chansons de cet album d’ailleurs. Qu’importe…  Et Those, notre avant-dernier disque a été un grand pas en avant à mon avis. Notre guitariste Ath avait alors repris l’écriture des parties de guitares sur cet album, et je trouve que sa créativité a vraiment permis de faire briller nos compositions. Personnellement, j’ai rejoint le groupe à ce stade en 2015 en tant que second guitariste et j’ai contribué à quelques parties de guitare, ainsi que des voix sur Those. À présent, The Greater Evil s’appuie sur le style de composition que nous avons mis en place et la confiance acquise sur Those, avec un accent continu sur le côté froid du black metal, très froid. À ce stade, DmL nous a alors rejoints en tant que troisième guitariste. Du coup, d’un certain côté, notre nouvel album The Greater Evil est un hommage aux débuts de black metal. Il y a cette énergie brute et l’émotion de ces premiers groupes du genre, et c’est ce qui nous a poussés vers ce style au départ. D’un autre côté, nous ne sommes évidemment pas cantonnés à jouer du black metal par les règles du genre. On ne compromet pas pour autant nos idées, et on ne veut pas entrer dans une boîte. Le black metal devrait toujours repousser les limites, selon moi.

Venant de la Suisse qui a toujours apporté des groupes de qualité dans l’histoire de la musique metal : je pense bien sûr à Hellhammer/Celtic Frost et Triptykon de nos jours, Coroner, Gottard, Eluveitie, mais aussi hardcore ou crossover ou sludge avec Gurd, Sludge, Nostromo, avez-vous grandi avec ces références musicales durant votre jeunesse ou bien avez-vous d’autres influences au sein de ColdCell, en particulier dans les styles dark et black metal ? Je  pense à Marduk et Deathspell Omega par exemple…
S : Inutile de dire que nous avons grandi avec toutes sortes d’influences venant la musique du métal mais qui ne se limitent pas spécialement à la Suisse. Je présume que chaque membre du groupe a ses propres goûts et son histoire personnelle dans la musique sombre, laide et extrême… Les groupes que nous avons tous écoutés en s’intéressant au métal au départ, en discutant et en voyant certains artistes en concerts sont Marduk, Emperor, Mysticum, Old Man’s Child, mais aussi Darkthrone (qui ne se produit pas ou très rarement elive), et bien d’autres. Il y avait et il y a encore tellement de bonne musique à découvrir et approfondir… Si je devais penser à des groupes nationaux qui m’ont fait une plus grande impression dans l’histoire et ma culture, je proposerais Hellhammer/Celtic Frost, bien sûr ! Il n’y aurait pas de black metal sans eux, ni sans Samael. (sourires)

Pourquoi avez-vous choisi de signer un contrat avec le label français Les Acteurs de l’Ombre Productions ? En quoi est-ce encore utile d’être signé sur un label de nos jours à l’heure d’Internet, des plateformes musicales comme YouTube et Bandcamp, et des réseaux sociaux où l’on peut y faire sa propre communication selon toi ?
W4 : Signer avec Les Acteurs de l´Ombre Prod. était la suite logique pour nous. Nous sommes fans de leur catalogue et ils ont une vision qui correspond à la nôtre. C’est une coopération très naturelle depuis le début. C’est toujours une bonne décision de coopérer avec des personnes et des artistes partageant les mêmes idées. Même si une grande partie de la scène reste en mode Do It Yourself et underground, le réseautage avec des personnes ayant des goûts et des priorités similaires est un avantage évident. Avoir une plateforme pour partager son art et ses idéaux permet justement de rejoindre un label. (sourires)

Après avoir déjà sorti trois albums donc, comment avez-vous abordé le processus créatif de ce quatrième album intitulé The Greater Evil car vous avez plus d’expérience maintenant pour composer et écrire mais aussi peut-être aussi sur la façon d’enregistrer en studio dorénavant ?
S : La composition musicale de ColdCell est une contribution collective du groupe dans son ensemble. Il s’agit moins de savoir qui écrit quelle chanson ou quelle partie de la chanson. Décider de ce qui sera enregistré sur l’album relève donc d’un processus collectif. La majeure partie de la composition et de l’écriture de la musique se déroule dans un home studio au sous-sol de notre bassiste In où il rencontre le guitariste Ath. Ils y passent de nombreuses soirées à créer le son. Quand quelque chose est présentable, on se réunit dans la salle de répétition et travaille d’abord sur la section de batterie, puis jouons les parties ou les brides de chansons ensemble pour percevoir le sentiment de la musique. La plupart du temps, je m’assois et je m’amuse avec un verre, parce que je suis un peu paresseux et j’ai tendance à ajouter les paroles du chant à la fin. Lorsque tout est aménagé et prêt, on contacte alors notre bon ami Victor Bullok alias « V. Santura » aux Woodshed Studios à Landshut (Bavière/Allemagne). Les sessions d’enregistrement en studio sont vraiment fluides lorsque tu as déjà l’expérience et un plan sur ce que tu veux réaliser. Cette fois, nous avons enregistré la plupart des parties de guitares, des basses et des samples dans le home studio et les avons réarrangées avec Victor, pour y obtenir le son final, de telle sorte que nous n’ayons qu’à enregistrer la batterie et ajouter quelques lignes de guitares supplémentaires, et bien sûr mes cris !

Votre musique est incroyablement sombre et lourde, parfois lourde et dépressive, mais aussi rapide et lancinante aussi, avec divers sentiments étranges, relativement mélancoliques… Quelle était votre humeur personnellement pendant l’écriture en fait parce que je trouve votre musique presque obsédante et personnelle ?
W4 : Tout espoir pour l’humanité est perdu… Nous nous dirigeons vers la prochaine extinction de masse, et nous la méritons, franchement. La nature se rétablira dans quelques milliers d’années, mais pas l’Homme, donc à la fin, même la destruction que nous causons n’aura pas d’importance… C’est tragique et beau à la fois.

Quel est exactement ce « très grand mal » mentionné dans le titre de votre nouvel album ?
S: Le « plus grand ma »l est le fait de l’humanité – sa contribution au système dans lequel nous vivons. On a tendance à dire que nous faisons ceci et cela pour le « plus grand bien » de tous, pour le meilleur de notre société ou de notre peuple, mais finalement on oublie, ou ne peut pas voir les conséquences de notre action.

The Greater Evil est-il la suite lyrique de vos trois précédents albums : Generation Abomination (2013) ; Lowlife (2015) ; et Those (2017) ? Ou est-ce un sujet différent ici cette fois ?
S : Les thèmes des paroles des albums de ColdCell tournent tous plus ou moins autour de l’humanité en tant qu’ennemi d’elle-même, ou du système dans lequel l’être humain vit, détruit ou tente d’échapper à sa propre destruction qu’il provoque.

Quels sont ces mots parlés et parfois un peu chantés que l’on peut entendre au début et à la toute fin de l’album aussi, sur la dernière chanson « No Escape » ? Est-ce que des extraits d’un film ou quelque chose comme ça, ou juste des paroles que vous avez écrites et comme narrées ici ? Ces mots avec cette voix semblent très tristes et sans aucun espoir… Pouvez-vous nous expliquer le but émotionnel sur ces passages ?
S : Nous avons eu la chance entre les sessions studio déjà programmées d’enregistrer spontanément des parties vocales d’invités avec notre cher ami Fredy (Zatokrev) et de les organiser comme intro et outro pour notre album. Il a utilisé des phrases issues des textes des chansons correspondantes. Ses morceaux de l’album, assemblés forment une arche globale. Cela crée un joli cadre à l’ensemble de l’œuvre. Je pourrais dire qu’il n’y a rien de spécial ou extraordinaire ici, mais d’une part, nous ne les aurions pas ajoutées si c’était le cas, et d’autre part, comme tu l’as dit, ces passages narrés sonnent tristes et désespérés donc ils enrichissent le sentiment général qui règne sur The Greater Evil

D’un point de vue artistique, vous sentez-vous plus proche de la scène dark/doom metal que de la scène black metal finalement ? Parce que vous mélangez à la fois des riffs hypnotiques sur des rythmiques plus ou moins variées, avec beaucoup de growls ou screams plus typiques du black…
S : Eh bien, tous les membres du groupe ont déjà eu un lien avec la scène du black metal, soit joué avec d’autres groupes de black, soit écouté et participé à des concerts dans ce genre et de plus notre précédent groupe était également profondément enraciné dans le black metal. Alors je dirais donc que nous sommes plus proches du black metal. Cependant, nous sommes ouverts d’esprit et repoussons continuellement nos limites avec d’autres influences (surtout depuis le dernier album Those), et nous sommes attirés par un certain son hanté, psychédélique et envoûtant, comme les « Roadburners » chevronnés que nous sommes.

Sur la deuxième piste, c’est une chanson très sombre. Elle s’appelle « Those ». Y a-t-il une connexion avec votre album précédent du même nom justement ? Il n’y avait pas de chanson-titre sur « Those » et pourquoi figure cette chanson ici ? Et qui sont ceux-ci décrits à travers cette chanson ? Y a-t-il un sentiment misanthropique à l’égard des autres ici comme qui est caractéristique du black metal généralement ?
S : En fait, la chanson n’a aucun lien direct avec l’album du même nom, bien que je puisse suggérer une signification plus profonde et créer une histoire ici pour l’adapter. En vérité, cette chanson « Those » parle de « Ces » séducteurs qui font croire aux gens des mensonges et les manipulent avec peur, devenant finalement trop bruyants pour être ignorés. Je suis sûr que chaque lecteur a des exemples qui lui viennent immédiatement à l’esprit. Chaque pays a sa propre forme de « dirigeants » qui profitent de ce genre de désespoir. Voici un extrait de mes paroles sur la chanson : « décapitez les chapeaux de papier d’aluminium, avec la précision de la vérité ».

Comme évoqué plus haut, le dernier morceau de l’album s’appelle «No Escape» et conclut votre nouvel album The Greater Evil. Alors, pensez-vous vraiment qu’il n’y a pas d’échappatoire dans nos vies dans cette putain de situation épidémique mondiale? Cela signifie-t‘il ici qu’il n’y a « pas de destin » ? Pas de solution ? Pas d’avenir ?
S : C’est plus une chanson personnelle pour moi. Comme vous l’avez mentionné à juste titre plus tôt, il a un ton triste et désespéré. Une chanson plus déprimante. Parfois, vous avez le sentiment qu’il n’y a tout simplement pas de routes que l’on puisse emprunter pour sortir de votre impasse imaginaire. Bien que ce soit difficile, il ne faut pas s’effondrer totalement et céder entièrement à la haine de soi. La chanson est pour le pessimisme intérieur qui est en nous. Donc, ce n’est pas lié à notre monde foutu avec cette crise sanitaire à portée de main, mais cela ne me convient pas en même temps.

Selon vous, pour nos lecteurs et à des personnes qui ne vous connaissent pas encore, comment pourriez-vous définir la musique de ColdCell en quelques mots et surtout avec ce quatrième album studio The Greater Evil ?
W4 : ColdCell est un rock’n roll extrême en quelque sorte. Et cet album The Greater Evil est comme un volcan éteint, c’est une pyramide renversée. Et non, enfin, je veux dire, je dis ça très sérieusement.

Enfin, quels sont les projets de ColdCell pour cette année, en fonction de l’évolution sanitaire du covid-19, bien sûr ? Êtes-vous prêt à partir en tournée dès que possible à travers l’Europe et le monde, ou peut-être que vous profitez de la situation en écrivant, en composant et en enregistrant encore et encore ? Peut-être que vous préparez un show live sur Internet afin de promouvoir la sortie de l’album The Greater Evil à défaut de concerts en public même si ça reprend un peu ici ou là ?
W4 : Il est devenu épuisant de planifier et de replanifier selon les règles et réglementations changeantes, en attendant que cette situation soit enfin terminée. Bien que nous nous concentrions toujours davantage sur la musique et moins sur les concerts, jouer en direct fait naturellement partie du processus créatif. Nous sommes impatients de voir quelles solutions seront possibles dans un proche avenir…

Cold Cell 2017 promo

CHRONIQUE ALBUM

COLDCELL
The Greater Evil
Dark/Black Metal
Les Acteurs de l’Ombre Prod.

S’ouvrant et s’achevant sur quelques murmures mélancoliques, ce quatrième album de ColdCell emprunte la même voie lugubre et sans espoir de son prédécesseur Those en 2017. Sur des rythmes très rapides (blast beats à 300 bpm) paradoxalement ponctuées d’atmosphères inquiétantes et de lents arpèges de doom/dark de doom/dark dépressif, le combo helvète distille un black metal venimeux et mortifère, vous happant véritablement dans ses ténèbres. La production sonore heavy et claire de V. Santura (Woodshed Studios) rappelle les digressions de Dark Fortress ou Triptykon… Quant aux riffs des deux autres guitaristes, ils vous hypnotisent dangereusement, seul le chant de S tente de vous extraire de votre propre agonie, comme si Marduk, MGLA, et Dark Fortress s’étaient unis pour mettre fin à notre civilisation. [Seigneur Fred]

Cold Cell 2017 promo

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