EVANESCENCE : Le jeu de la vérité

Cela fait presque dix ans que le groupe n’a pas proposé de véritable album. Dix années pourtant bien remplies, avec juste un hiatus, un départ, un album pour revisiter ses classiques et un paquet de concerts. En 2019, presque par surprise, l’idée a germé de ressortir les guitares. C’est une Amy Lee très enthousiaste que nous avons jointe, à l’idée de présenter son nouveau bébé baptisé The Bitter Truth, mais, surtout, avec une grosse envie de rassurer ses fans : Evanescence reviendra sur scène dès que la situation le permettra. [Entretien avec Amy Lee (chant) par Julien Meurot – Photo : DR]

La situation actuelle semble vous avoir motivés plus que jamais…
C’est vrai, dans le sens où nous avons relevé un challenge. Nous nous sommes dit que nous ne voulions pas nous laisser abattre et donc nous avons décidé de nous lancer dans un nouvel album et de le sortir, quoi qu’il arrive. Cela nous a clairement évité d’être frustrés et de nous sentir prisonniers de la situation.

L’annonce d’un nouvel album remonte à trois ans, maintenant. Quand avez-vous réellement commencé à écrire The Bitter Truth ?
Pour le plus gros du disque, nous avons commencé à écrire début 2019. Nous tournions beaucoup et c’est le seul moment où nous sommes réunis, car nous vivons tous dans des endroits différents. À la fin de la tournée, j’ai loué un local où l’on pouvait répéter et écrire tous ensemble. Nous sommes restés une semaine à travailler. Avoir du temps, de l’espace pour créer sans pression était vraiment agréable.

On voit bien dans les différents clips que l’isolement et l’éloignement des uns et des autres vous pèsent.
La première fois que j’ai vu le clip de « Waste On You », je me suis vraiment sentie triste. C’était la toute première fois que procédions ainsi. Le plus fou dans ce clip, c’est que personne n’avait visionné ce que chacun avait fait jusqu’au montage final. Il y avait des trames à respecter, mais l’interprétation est restée totalement libre. P. R. Brown a réussi à capter notre message parfaitement. Tout a été filmé par nos soins, mais, malgré la distance, nous voulions montrer que nous étions « ensemble ». Ça m’a vraiment tiré des larmes, je ne pensais pas qu’ils me manquaient autant. C’est même surprenant, car nous avons déjà été séparés aussi longtemps par le passé. Mais nous savions qu’il y aurait des retrouvailles, à un moment ou un autre. Dans la situation actuelle, nous ne savons pas quand nous allons nous retrouver et c’est bien plus pesant.

Avec les outils modernes, il est quand même plus simple de rester en contact, non ?
C’est une évidence, d’autant que nous avions ce projet sur lequel travailler. Avant le confinement, nous n’avions que quatre titres finalisés. Nous devions partir en tournée avec Within Temptation en Europe, puis revenir, pour travailler sur l’album. Quand tout s’est stoppé d’un coup, plutôt que de s’apitoyer sur notre sort, nous avons décidé de finir l’album. Mais nous avons également passé pas mal de temps à parler, parce que l’on se manquait tout simplement. Surtout Jen (Majura, guitare) qui vit très loin de nous. Nous sommes aussi restées connectées, car nous aimons toutes les deux jouer aux jeux vidéo en ligne. (rires)

Est-ce que la situation a pesé jusqu’à tes paroles ?
Bien sûr, le monde a été complètement mis à l’envers. Dans mes paroles, j’aborde généralement de ce que je ressens. C’est une sorte de journal. Cette fois, la toile de fond est assez unique et je ne me voyais pas parler de ce qui m’entoure. Sur le premier titre « Broken Pieces Shine  », je me demande comment nous allons survivre à tout cela. Il y a tant de choses qui se sont perdues… J’espère que les gens seront solidaires, afin qu’on puisse reprendre une vie normale. Je souhaite aussi que notre musique permettra de connecter nos fans entre eux et les aidera à surmonter la situation.

Je pense que mon titre préféré est « Yeah Right », il est différent, mais il marche super bien...
Oh cool !! Je me bats pour l’intégrer à l’un de nos albums depuis onze ans (rire). Ce titre est particulier pour de très bonnes raisons. J’ai écrit quelques chansons avec un ami, Will Hunt, un autre Will Hunt, pas notre batteur (rires). Il a également produit Synthesis et mon album pour les enfants. C’est un super partenaire d’écriture, nous avons beaucoup collaboré et je pense que nous avons finalisé ce titre en 2010. Quand j’écris, je ne me dis jamais que ce titre sera pour Evanescence ou pour un autre projet. Je l’écris et après je vois (rire). Si tu avais entendu sa version originale, tu serais très surpris, car elle était cent pour cent électronique. Quand je compose à la maison, j’aime bien jouer avec les beats et les synthétiseurs. J’ai ensuite proposé le morceau au groupe, pour que l’on puisse en faire un titre rock. Mais, si ce titre sonne finalement très pop, c’est justement parce qu’il est sarcastique. J’ai cette image de certains morceaux de Rob Zombie qui sont très catchy, mais la production est si heavy que cela change tout. Pour moi, ce contraste est vraiment cool et c’est ce qui me plait dans ce titre.

Pour finir sur les contrastes, peux-tu nous parler de ta participation au titre « When I’m Gone » de Body Count ?
Je me suis battue pour ce titre aussi (rires). J’étais en tournée, quand on me l’a proposé. Normalement, j’ai besoin d’être chez moi pour bosser sur ce genre de projet. Un gars de notre équipe en a parlé en disant : « Hey ! Des mecs de Body Count voudraient faire un truc avec toi ». J’ai répondu : « OK ! Envoie-moi la piste ». Il fallait que j’écoute, car il n’y a que deux options : soit ça colle parfaitement, soit ça sera une catastrophe. Sur le papier, ma voix sur un titre de Body Count, ça peut sembler farfelu (rire). Mais, quand j’ai entendu les paroles, je me suis dit que ça allait le faire. « Ne gaspille pas ton temps, passe-le avec les gens que tu aimes, profites-en », c’est mon message. J’ai eu rapidement l’idée de ce que je voulais réaliser, mais je n’avais pas de studio, car nous étions en tournée. Je leur ai dit que je ne pourrais pas le faire avant une dizaine de jours, mais c’était trop tard pour eux. Quand je suis rentrée, je me suis dit que c’était trop bête et j’ai quand même tenu à enregistrer à mon idée, car j’y croyais vraiment. Je leur ai envoyé le résultat, en leur disant que je savais qu’il était trop tard, mais que si jamais, dans le futur, on pouvait faire quelque chose ensemble, ça serait vraiment cool. Ils ont tellement adoré qu’ils ont décidé de prendre le temps pour qu’on enregistre proprement. Je suis comblée, en tant qu’artiste, car les choses se sont passées si naturellement et que le morceau est si génial !

CHRONIQUE ALBUM

EVANESCENCE
The Bitter Truth
Rock gothique
Sony/BMG

Dix ans c’est long, très long ! Même si le groupe nous avait fait le coup de la revisite de ses plus grands classiques en version électro-orchestrale en 2017, il faut remonter à 2011 et l’album éponyme, pour avoir une galette remplie de matériel original. Et il faut reconnaître qu’on est dans la continuité de ce que proposait Evanescence à cette époque. Un vent de nostalgie planerait presque au démarrage de « Broken Pieces Shine ». Tous les ingrédients sont là et les fans retrouveront leurs marques aisément. D’autant que le fil conducteur reste la merveilleuse voix d’Amy Lee, qui ne perd rien de sa puissance. Par ailleurs, les ballades piano/chant, avec un soupçon d’arrangements, font mouche. La production de Nick Raskulinecz, déjà présent sur l’album éponyme, est optimale et l’ensemble est porté par un effort de groupe appréciable. Mention spéciale à « Use My Voice », qui voit les femmes du metal s’unir pour nous coller une bonne grosse baffe. Un retour qui plaira aux fans. Vivement le live ! [Julien Meurot]

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