TRIDENT
La fascination du nord

Il y a dix ans, nous vous présentions dans nos pages Trident pour son premier opus World Destruction. Formée en 2007 par les guitaristes de feu Dissection et Fejd, sur les cendres encore chaudes des groupes Soul Reaper, Death Tyrant et Lord Belial (scoop en fin d’entretien !), cette classieuse formation suédoise sort seulement son second album suite à la faillite du label Regain Records à l’époque et ce, malgré un discret EP Shadows paru quelques temps plus tard en 2015 chez War Anthem Records. Ses membres comptent bien reconquérir à présent la scène Black/Death Metal scandinave avec l’épique North. [Entretien avec Joakim « Goat » Antonsson (batterie) et Anders « Bloodlord » Backelin (basse) par Seigneur Fred – Photo : DR]

Comment êtes-vous en Suède actuellement dans ce contexte d’épidémie de Covid-19 et plus généralement qu’en est-il de la musique et de la culture dans votre pays ? Les concerts ont-ils repris en Suède ? (en salle ou plein air)
Joakim « Goat » Antonsson : Les musiciens ne peuvent présenter des spectacles que pour un maximum de cinquante personnes assises autour de tables. Le gouvernement suédois fait tout au sujet du flux constant de propagation du virus, voulant que nous maintenions les affaires mais à une très petite échelle… Eh oui, cela ne fonctionne donc pas vraiment pour les concerts ! Il était encore possible de faire des concerts en plein air cet été, mais maintenant que l’hiver approche, tout le monde doit entrer et c’est là que les problèmes commencent. On ne peut se produire que devant une cinquantaine de personnes, et elles doivent toutes être éloignées les unes des autres en conséquence.

Trident a été fondé en 2007 mais n’avait sorti jusqu’à présent qu’un seul album studio intitulé World Destruction chez Regain Records en 2010, et un EP Shadows paru plus tard chez War Anthem Rec. en 2015 Est-ce que la faillite du label suédois Regain Rec. (relancé depuis) a été la cause de votre silence radio sur la scène musicale ? Que s’est-il passé au sein du groupe pendant tout ce temps ?
Beaucoup de choses se sont passées au cours des dix années qui ont suivi la sortie de World Destruction. Le groupe a notamment subi des changements dans ses membres et ses maisons de disques. Cependant Regain Records n’a rien à voir avec l’absence de Trident sur la scène. Nous avons rassemblé la formation actuelle telle qu’elle est (à l’exclusion de notre nouveau bassiste Anders Backelin alias « Bloodlord » qui est devenu membre lors des enregistrements de North) il y a environ sept ou huit ans. À l’époque, il y avait du matériel de prêt pour les chansons mais il nous fallait un peu de temps pour trouver notre place dans cette nouvelle famille et affiner notre son. Avec un silence prolongé car nous ne voulions pas précipiter les choses, nous avons cependant pris la décision d’enregistrer notre EP Shadows sorti il y a environ cinq ans, afin que les fans ne perdent pas espoir et voient que nous sommes toujours en vie. Presque immédiatement après cette sortie, on a commencé à travailler sur du nouveau matériel qui allait devenir ce nouvel album North. Inspiré du mythe et de la magie ancienne, cet album est un voyage à travers l’âme, un voyage sombre et cosmique à écouter de préférence en une seule séance du début à la fin tout en laissant la musique vous guider vers des lieux intérieurs…

TRIDENT North (artwork par Juanjo Castellano)

Les chansons du nouvel album justement sont extrêmement travaillées et semblent en effet les fruits d’une longue gestation… North sonne très fort et lourd et impressionne dans ses ambiances et ses détails jusqu’aux arrangements (orchestrations avec claviers, quelques chœurs, parties de guitare acoustique, etc.)…
Nous avions déjà du matériel prêt pour l’album North pendant que nous terminions l’EP Shadows comme dit précédemment. Certaines des chansons ont été traitées pendant une longue période, nous voulions créer de la musique qui, selon nous, dure et dont on se souvient très longtemps, cela prend beaucoup de temps pour dire ou exprimer un minimum de choses, mais nous croyons que nous avons trouvé notre structure pour faire quelque chose de grand et beau. Moi et le guitariste Johan Norman (alias « Reaper ») passons des semaines à l’intérieur du studio de répétition à travailler sur du matériel pour obtenir la bonne vibration sur chaque chanson. Lorsque nous pensons que le processus est terminé, nous commençons à impliquer les autres membres du groupe pour composer et créer une structure qui est principalement basée dans l’esprit de notre guitariste (soliste) Per-Owe (alias « Ulv ») tandis que le processus de discussion autour de l’écriture des paroles et du thème des chansons se fait avec notre chanteur Henri Heikkinen (alias « Defiler »). On est fortement influencé par les bandes sonores atmosphériques, l’art sous toutes ses formes et nous nous entraidons pour le transmettre à travers différents instruments, principalement interprétés par le grand « Ulv ». Tout le monde dans le groupe met cent pour cent d’efforts dans la musique, s’ils ne le faisaient pas, nous ne serions jamais fiers d’enregistrer et de sortir enfin cet album aujourd’hui.

Revenons sur le line-up actuel de Trident : Anders Backelin alias « Bloodlord » a donc rejoint le groupe en tant que bassiste l’an dernier Avec toi, vous jouiez également auparavant dans Death Tyrant. Alors, d’une certaine manière, devons-nous considérer Trident comme à la fois la suite artistique et spirituelle des deux groupes qu’étaient Death Tyrant et Soul Reaper (de votre guitariste et fondateur Carl Johan Norman alias « Reaper ») ?
Pour notre bien, cela ressemble vraiment au meilleur match possible ! (rires) Nous sommes tous si différents mais en même temps nous nous complétons grandement musicalement. Ha ha ! (rires) peut-être, combiner à vrai dire le Black Metal mélodique avec le Death Metal brutal semble vraiment fonctionner !

Quel est le background de votre chanteur Henri Heikkinen (alias « Defiler ») arrivé en 2012 car on le connaît peu par rapport à tous les autres membres de Trident qui ont évolué dans Lord Belial, Death Tyrant donc, mais aussi bien entendu Dissection, Sacramentum, Soulreaper, et encore de nos jours dans Fejd pour son chanteur « Ulv » ?
C’est parce qu’il n’a pas une grande formation musicale, nous l’avons trouvé au début de sa carrière comme chanteur alors qu’il s’appelait juste Henri. Depuis, nous l’avons forgé pour devenir le chanteur « Defiler » que nous entendons aujourd’hui sur North. (sourires) On l’a choisi assez tôt car il a la passion et le feu dans ses yeux pour devenir quelqu’un de vraiment génial, nous croyons fermement en lui en tant que chanteur et frontman.

Ce second album est-il un concept dédié au nord et votre région de l’Europe septentrionale ? On dirait comme un voyage dans la culture du nord de l’Europe parce que chaque morceau semble lié au suivant et l’ensemble dégage une certaine puissance ?
Nord en tant que concept est plus facile à expliquer comme un voyage à travers les visions d’un homme fou. Pour l’auditeur, il est conçu comme un outil pour se lancer dans un voyage cosmique sombre à travers les dimensions. La chanson titre et certaines des autres chansons de l’album ont été inspirées par les mythes et la magie ancienne de notre héritage nordique, mais aussi par d’autres cultures. D’autres influences peuvent également être entendues et lues à travers les paroles. On voulait faire de North un voyage musical au-delà des restrictions du temps et de l’espace perçus. Espérons que les auditeurs sentiront qu’ils peuvent abandonner le monde qui les entoure un moment et se lancer dans des royaumes de l’au-delà. Les chemins empruntés doivent être cependant personnels selon les auditeurs, et nous avons vraiment hâte d’entendre ce que les gens ont vécu ou où ils sont allés dans leurs pensées.

Comment expliques-tu cette fascination pour le nord en général, chose très courante dans les groupes de Métal scandinave comme Bathory, Immortal dans le passé, ou plus récemment comme Insomnium, Borknagar ou Swallow The Sun qui ont publié aussi des albums sur ce sujet dernièrement ?
Une grande partie de l’inspiration musicale de la plupart des morceaux de l’album a pris vie en parcourant les régions les plus septentrionales de la Suède. On peut y voir aussi donc un hommage à la beauté des vastes forêts et des montagnes majestueuses. L’inspiration du vieux folklore, des philosophies anciennes et des cultures qui ont parcouru le temps à travers l’histoire, c’est tout ça qui nous inspire au quotidien. Peut-être que les autres groupes que tu mentionnes vivent et résonnent également avec le nord dans le cœur, ce nord à la fois dur et magnifique.

Cependant j’ai été un peu surpris par la chanson très heavy intitulée « Imperium Romanum » sur North. C’est une très bonne chanson très entraînante avec son riff principal et ses claviers mais si l’album North est dédié à la mythologie nordique et sa culture, cette référence à l’Empire romain semble surprenante, Rome n’ayant pas envahi la Scandinavie même s’il y eut probablement des contacts au nord de l’Europe durant l’Antiquité, mais la civilisation viking ne s’est développée que plus tard au Moyen-Âge. À quoi fait référence cette chanson et peux-tu nous expliquer la raison de sa présence ici sur North ?
Nous ne croyons pas qu’il faille avoir une véritable narration historique dans notre musique, certains groupes le font et peu réussissent mais ça n’est pas vraiment fait pour nous. Cependant, notre chanteur Defiler est très intéressé par l’Histoire, et en particulier par l’évolution des conflits, de sorte que certaines paroles sont fortement influencées par des événements historiques réels. Cela dit, les riffs d’introduction ressemblaient à des pas déterminés mais contrôlés comme la marche d’une légion romaine. Defiler a eu l’idée et rentra chez lui cette nuit-là pour y réfléchir. Il décida de nommer la chanson alors « Imperium Romanum ». C’est peut-être la seule fois où Defiler a décidé d’un titre pour une chanson sans d’abord penser au contenu, mais c’était juste et tombait à pic. En fin de compte, le sens de la chanson est en fait davantage relatif à nos échecs dans on veut progresser sur le plan personnel et aussi en tant qu’espèce. Mais l’Empire romain est un bon exemple de ce qui pourrait arriver à quelque chose qui progresse au-delà de ses limites et tombe dans les sables du temps. Qu’il s’agisse de religion, d’état ou de choix personnels dans la vie, les mêmes erreurs se répètent encore et encore à ce jour malgré l’Histoire sous nos yeux.

De quoi parle le morceau « Final War » ? S’agit-il du combat des Dieux contre les Géants dans la mythologie viking nordique et germanique et de l’histoire de l’apocalypse que l’on nomme le Ragnarök ?
Tout dépend de la personne à qui tu t’adresses dans le groupe ou de toute autre personne écoutant la chanson car chacun en fait sa propre interprétation. Personnellement, je dirai qu’il s’agit d’une rage intérieure, de voir le sang et le schéma destructeur de l’humanité, cette folie de la destruction avec l’imagination de combattre la vérité illusoire.

Votre chanson-titre « North » m’a fait penser aux albums les plus épiques de Bathory (période Blood on Ice et Hammerheart) voire à Immortal aussi. Quelle est ton avis et ressenti sur cette chanson ? Ces deux groupes cultes scandinaves célèbres constituent-ils une grande influence pour toi et les autres dans Trident ?
On est fortement influencé par les groupes que tu mentionnes et bien d’autres formations majeures scandinaves. C’est quelque chose que nous écoutons beaucoup même à ce jour, les albums des années 80 et 90… Ici c’était qune chose que nous voulions ramener sous une nouvelle forme.

Est-ce que votre guitariste soliste Per-Owe Ewo Solvelius alias « Ulv » en tant que membre du groupe Fejd apporte et interprète toutes ces parties acoustiques à la guitare sur vos nouvelles chansons de North du fait de son background plutôt Folk Metal ou bien c’est plus collectif dans l’apport d’idées et de dosage des instruments ?
Ulv et Johan écrivent les parties acoustiques ensemble, et Ulv les interprète. Ce n’est pas spécialement à cause de Fejd et de sa filiation à la scène Folk en soi. Il enseigne de toute façon la guitare classique à un très haut niveau et est capable d’interpréter ces parties acoustiques sur scène en toute simplicité sans problème. C’est donc assez naturel.

Enfin, quelques mots maintenant sur la dernière chanson « Schaman » que je trouve très épique tout comme la chanson titre de North mais là, sur « Schaman », figurent des orchestrations puissantes (un peu comme le groupe Nile) et conclut l’album en tout beauté ?
Cette chanson a été écrite pour résumer toute la carrière musicale de Johan, alias « Reaper » en une seule chanson. Ce titre fut vraiment difficile à créer mais qui pourrait sans doute s’avérer comme l’une des meilleures chansons de Trident que nous n’ayons jamais créées. C’est assez ambitieux et elle retranscrit tous les états émotionnels que nous avons traversés ces dernières années. Cela montre hautement notre passion aussi pour raconter une histoire et créer l’atmosphère nécessaire sur l’album.

Question plus personnelle à Anders Backelin alias « Bloodlord » avant de conclure : quelles sont les nouvelles de ses frères Thomas et Micke Backelin : continuez-vous à jouer dans le puissant et regretté Lord Belial, ou font-ils d’autres activités car d’après nos dernières informations, Lord Belial se serait reformé ?! Ont-ils arrêté définitivement de jouer de la musique sur la scène ? Et qu’en est-il de toi avec Pepa Vassago de nos jours ? Pouvons-nous espérer un album maintenant de Vassago ou Lord Belial dans un futur proche ?
Anders « Bloodlord » Backelin : D’abord et avant toute chose, ce sont mes cousins et non mes frères. Ils ont tous deux retrouvé l’inspiration et recommencer à répéter, Pepa, Micke et Thomas au sein de Lord Belial. Quant à moi, j’ai enregistré la basse pour le dernier album de Vassago avec Pepa qui est terminé et prêt à sortir. Mais à propos d’un nouvel album de Lord Belial… : nul ne peut prévoir l’avenir et ce qui va se passer… (sourires)

Pour Trident, avez-vous bon espoir de partir en tournée et donner des concerts en Europe ou ailleurs et passer par la France pour écouter ce nouvel album North en live sur scène ? Des festivals peut-être de prévus en 2021 ?
Rien n’est sûr. Mais nous ferons de notre mieux pour pouvoir nous produire en live courant 2021, rendez-vous là-bas !

CHRONIQUE ALBUM

TRIDENT
North
Black/Death Metal
Non Serviam Rec.

Typiquement nordique, épique (la chanson-titre aux relents Bathory/Immortal/Dissection), et violent, assurément cette seconde galette a eu le temps de murir en dix ans dans l’esprit de ses géniteurs constitués du guitariste Ulv (Fejd) et Reaper (ex-Dissection, ex-Soulreaper…) ainsi que d’anciens membres de Death Tyrant et Lord Belial (qui vient de se reformer). La crème de la scène Death & Black Metal suédoise ! Question originalité lyrique ou musicale : zéro absolu. Pourtant North s’avère captivant à travers ses ambiances profondes (« Enter », « Schaman »), ses furieuses tempêtes (« Final War ») et nombreux passages heavy (« Imperium Romanum » qui détonne ici dans la thématique alors que la Scandinavie n’a jamais été envahie par Rome) ou plus mélodieux (les superbes guitares acoustiques sur « Death »). Un must have pour tous les fans de Dissection, Lord Belial, etc. [Seigneur Fred]

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